Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/112

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rendre attentive. Elle n’avait pas été habituée à des occupations régulières, et je pensai qu’il serait irréfléchi de l’enfermer trop dès le commencement. Aussi, après lui avoir beaucoup parlé et lui avoir donné quelques lignes à apprendre, voyant qu’il était midi, je lui permis de retourner avec sa nourrice, et je résolus de dessiner pour elle quelques esquisses jusqu’à l’heure du dîner.

Comme je montais chercher mon portefeuille et mes crayons, Mme Fairfax m’appela.

« Votre classe du matin est achevée, je suppose, » me dit-elle.

La voix venait d’une chambre dont la porte était ouverte. J’entrai en l’entendant s’adresser à moi. J’aperçus alors une pièce magnifique, ornée d’un tapis turc. Les meubles et les rideaux étaient rouges ; les murs recouverts en bois de noyer, le plafond enrichi de sculptures dignes d’une aristocratique demeure ; la fenêtre était vaste, mais la poussière en avait noirci les vitres. Mme Fairfax était occupée à nettoyer quelques vases en belle marcassite rouge placés sur le buffet.

« Quelle belle pièce ! m’écriai-je en regardant autour de moi ; je n’en ai jamais vu de moitié si imposante.

— C’est la salle à manger ; je viens d’ouvrir la fenêtre pour faire entrer un peu d’air et de soleil ; car tout devient si humide dans les appartements rarement habités ! le salon là-bas a l’odeur d’une cave. »

Elle me montra du doigt une grande arche correspondant à la fenêtre, tendue d’un rideau semblable, relevé pour le moment. Je montai les deux marches qui se trouvaient devant l’arche, et je regardai devant moi. J’aperçus une chambre qui, pour mes yeux novices, avait quelque chose de féerique, et pourtant c’était tout simplement un très joli salon, à côté duquel se trouvait un boudoir ; l’un et l’autre étaient recouverts de tapis blancs, sur lesquels on semblait avoir semé de brillantes guirlandes de fleurs. Les plafonds étaient ornés de grappes de raisin et de feuilles de vigne d’un blanc de neige, qui formaient un riche contraste avec les divans rouges ; d’étincelants vases de Bohême, d’un rouge vermeil, relevaient le marbre pâle de la cheminée. Entre les fenêtres, de grandes glaces reflétaient cet assemblage de neige et de feu.

« Comme vous tenez toutes ces chambres en ordre, madame Fairfax ! m’écriai-je ; pas de housse, et pourtant pas de poussière. Sans ce froid glacial, on les croirait habitées.

— Dame, mademoiselle Eyre, quoique les visites de M. Rochester soient rares, elles sont toujours imprévues ; quand il