Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/128

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campagne ; mais vous feriez mieux de changer de robe maintenant ; je vais aller vous aider. Tenez, prenez cette lumière.

— Est-il nécessaire de changer de robe ?

— Oui, cela vaut mieux ; je m’habille toujours le soir quand M. Rochester est là. »

Cette formalité me semblait quelque peu cérémonieuse ; néanmoins je regagnai ma chambre, et, aidée par Mme Fairfax, je changeai ma robe de laine noire contre une robe de soie de la même couleur, ma plus belle, et du reste la seule de rechange que j’eusse, excepté une robe gris clair, que, dans mes idées de toilette prises à Lowood, je regardais comme trop belle pour être portée, si ce n’est dans les grandes occasions.

« Il vous faut une broche, » me dit Mme Fairfax.

Je n’avais pour tout ornement qu’une petite perle, dernier souvenir de Mlle Temple. Je la mis et nous descendîmes.

Avec le peu d’habitude que j’avais de voir des étrangers, c’était une épreuve pour moi que d’être ainsi appelée en présence de M. Rochester. Je laissai Mme Fairfax s’avancer la première, et je marchai dans son ombre, lorsque nous traversâmes la salle à manger. Après avoir passé devant l’arche, dont le rideau était baissé pour le moment, nous arrivâmes dans un élégant boudoir.

Deux bougies étaient allumées sur la table et deux sur la cheminée. Pilote se chauffait, à demi étendu, à la flamme d’un feu superbe ; Adèle était agenouillée à côté de lui. Sur un lit de repos, et le pied appuyé sur un coussin, paraissait M. Rochester ; il regardait Adèle et le chien ; le feu lui arrivait en plein visage. Je reconnus mon voyageur avec ses grands sourcils de jais, son front carré, rendu plus carré encore par la coupe horizontale de ses cheveux. Je reconnus son nez plutôt caractérisé que beau ; ses narines ouvertes, qui me semblaient annoncer une nature emportée ; sa bouche et son menton étaient durs. Maintenant qu’il n’était plus enveloppé d’un manteau, je pus voir que la carrure de son corps s’harmonisait avec celle de son visage. C’était un beau corps d’athlète, à la large poitrine, aux flancs étroits, mais dépourvu de grandeur et de grâce.

M. Rochester devait s’être aperçu de mon entrée et de celle de Mme Fairfax ; mais il paraît qu’il n’était pas d’humeur à la remarquer, car notre approche ne lui fit même pas lever la tête.

« Voilà Mlle Eyre, » dit tranquillement Mme Fairfax.

Il s’inclina, mais sans cesser de regarder le chien et l’enfant.

« Que Mlle Eyre s’asseye, » dit-il. Son salut roide et contraint, son ton impatient, bien que