Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/130

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dès qu’elle me voit, elle demande un cadeau à grands cris ; vous, vous battez les buissons.

— C’est que j’ai moins confiance qu’Adèle dans mes droits ; elle peut invoquer le privilège d’une vieille connaissance et de l’habitude, car elle m’a dit que de tout temps vous lui aviez donné des jouets ; quant à moi, je serais bien embarrassée de me trouver un titre, puisque je suis étrangère et que je n’ai rien fait qui mérite une marque de reconnaissance.

— Oh ! ne faites pas la modeste ; j’ai examiné Adèle, et j’ai vu que vous vous êtes donné beaucoup de peine avec elle ; elle n’a pas de grandes dispositions, et en peu de temps vous l’avez singulièrement améliorée.

— Monsieur, vous m’avez donné mon cadeau, et je vous en remercie. La récompense la plus enviée de l’instituteur, c’est de voir louer les progrès de son élève.

— Oh ! oh ! » fit M. Rochester ; et il but son thé en silence, « Venez près du feu, » dit-il lorsque le plateau fut enlevé et que Mme Fairfax se fut assise dans un coin avec son tricot.

Adèle était occupée à me faire faire le tour de la chambre pour me montrer les beaux livres et les ornements placés sur les consoles et les chiffonnières ; dès que nous entendîmes la voix de M. Rochester, nous nous hâtâmes d’obéir. Adèle voulut s’asseoir sur mes genoux, mais il lui ordonna de jouer avec Pilote.

« Il y a trois mois que vous êtes ici ? me demanda-t-il.

— Oui, monsieur.

— D’où veniez-vous ?

— De Lowood, dans le comté de…

— Ah ! une école de charité. Combien de temps y êtes-vous restée ?

— Huit ans.

— Huit ans ! alors vous avez la vie dure ; je croyais que la moitié de ce temps serait venu à bout de la plus forte constitution. Je ne m’étonne plus que vous ayez l’air de venir de l’autre monde ; je me suis déjà demandé où vous aviez pu attraper cette espèce de figure. Hier, lorsque vous êtes venue au-devant de moi dans le sentier de Hay, j’ai pensé aux contes de fées, et j’ai été sur le point de croire que vous aviez ensorcelé mon cheval ; je n’en suis pas encore bien sûr. Quels sont vos parents ?

— Je n’en ai pas.

— Et vous n’en avez jamais eu, je suppose. Vous les rappelez-vous ?