Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/213

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irritable et nerveuse ; elle a pris son rêve pour une apparition ou quelque chose de semblable, et a eu peur. Mais, maintenant, retournez dans vos chambres ; je ne puis pas aller voir ce qu’elle devient, avant que tout soit rentré dans l’ordre et le silence. Messieurs, ayez la bonté de donner l’exemple aux dames ; mademoiselle Ingram, je suis persuadé que vous triompherez facilement de vos craintes ; Amy et Louisa, retournez dans vos nids comme deux petites tourterelles ; mesdames, dit-il, en s’adressant aux douairières, si vous restez plus longtemps dans ce froid corridor, vous attraperez un terrible rhume. »

Et ainsi, tantôt flattant et tantôt ordonnant, il s’efforça de renvoyer chacun dans sa chambre. Je n’attendis pas son ordre pour me retirer ; j’étais sortie sans que personne me remarquât, je rentrai de même.

Mais je ne me recouchai pas ; au contraire, j’achevai de m’habiller. Le bruit et les paroles qui avaient suivi le cri n’avaient probablement été entendus que par moi ; car ils venaient de la chambre au-dessus de la mienne, et je savais bien que ce n’était pas le cauchemar d’une servante qui avait jeté l’effroi dans toute la maison : je savais que l’explication donnée par M. Rochester n’avait pour but que de tranquilliser ses hôtes. Je m’habillai pour être prête en tout cas ; je restai longtemps assise devant la fenêtre, regardant les champs silencieux, argentés par la lune, et attendant je ne sais trop quoi. Il me semblait que quelque chose devait suivre ce cri étrange et cette lutte.

Pourtant le calme revint ; tous les murmures s’éteignirent graduellement, et, au bout d’une heure, Thornfield était redevenu silencieux comme un désert ; la nuit et le sommeil avaient repris leur empire.

La lune était au moment de disparaître ; ne désirant pas rester plus longtemps assise au froid et dans l’obscurité, je quittai la fenêtre, et, marchant aussi doucement que possible sur le tapis, je me dirigeai vers mon lit pour m’y coucher tout habillée ; au moment où j’allais retirer mes souliers, une main frappa légèrement à ma porte.

« A-t-on besoin de moi ? demandai-je.

— Êtes-vous levée ? me répondit la voix que je m’attendais bien à entendre, celle de M. Rochester.

— Oui, monsieur.

— Et habillée ?

— Oui.

— Alors, venez vite. »