Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/46

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rapidement ; ma malle fut hissée ; on m’arracha des bras de Bessie, tandis que j’étais suspendue à son cou.

« Ayez bien soin de l’enfant, cria-t-elle au conducteur, lorsque celui-ci me plaça dans l’intérieur.

— Oui, » répondit-il. La portière fut fermée, et j’entendis une voix qui criait : « Enlevez ! » Alors la voiture continua sa route.

C’est ainsi que je fus séparée de Bessie et du château de Gateshead ; c’est ainsi que je fus emmenée vers des régions inconnues et que je croyais éloignées et mystérieuses.

Je ne me rappelle que peu de chose de mon voyage : le jour me parut d’une excessive longueur ; il me semblait que nous franchissions des centaines de lieues. On traversa plusieurs villes, et dans l’une d’elles la voiture s’arrêta. Les chevaux furent changés et les voyageurs descendirent pour dîner. On me mena dans une auberge où le conducteur voulut me faire manger quelque chose ; mais comme je n’avais pas faim, il me laissa dans une salle immense aux deux bouts de laquelle se trouvait une cheminée ; un lustre était suspendu au milieu, et on apercevait une grande quantité d’instruments de musique dans une galerie placée au haut de la pièce.

Je me promenai longtemps dans cette salle, accablée d’étranges pensées. Je craignais que quelqu’un ne vînt m’enlever ; car je croyais aux ravisseurs, leurs exploits ayant souvent figuré dans les chroniques de Bessie. Enfin mon protecteur revint et me replaça dans la voiture ; après être monté sur le siège, il souffla dans sa corne, et nous nous mîmes à rouler sur la route pierreuse qui conduit à Lowood.

Le soir arrivait humide et chargé de brouillards ; quand le jour eut cessé pour faire place au crépuscule, je compris que nous étions bien loin de Gateshead. Nous ne traversions plus de villes, le paysage était changé. De hautes montagnes grisâtres fermaient l’horizon ; l’obscurité augmentait à mesure que nous descendions dans la vallée ; tout autour de nous nous n’avions que des bois épais. Depuis longtemps la nuit avait entièrement voilé le paysage, et j’entendais encore dans les feuilles le murmure du vent.

Bercée par ces sons harmonieux, je m’endormis enfin. Je sommeillais depuis longtemps, lorsque la voiture s’arrêtant tout à coup, je m’éveillai. Devant moi se tenait une étrangère que je pris pour une domestique, car à la lueur de la lanterne je pus voir sa figure et ses vêtements.

« Y a-t-il ici une petite fille du nom de Jane Eyre ? demanda-t-elle.

— Oui. » répondis-je.