Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/53

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Le murmure qui suivait chaque leçon avait déjà commencé à se faire entendre ; mais à la voix de Mlle Temple, il cessa immédiatement. Elle continua :

« Vous avez eu ce matin un déjeuner que vous n’avez pu manger ; vous devez avoir faim, j’ai donné ordre de vous servir une collation de pain et de fromage. »

Les maîtresses se regardèrent avec surprise.

« Je prends sur moi la responsabilité de cet acte, » ajouta-t-elle, comme pour expliquer sa conduite ; puis elle quitta la salle d’étude.

Le pain et le fromage furent apportés et distribués, au grand contentement de toute l’école ; on donna ensuite ordre de se rendre au jardin. Chacune mit un grossier chapeau de paille, retenu par des brides de calicot teint, et s’enveloppa d’un manteau de drap gris ; je fus habillée comme les autres, et en suivant le flot j’arrivai en plein air.

Le jardin était un vaste terrain, entouré de murs assez hauts pour éloigner tout regard indiscret ; d’un des côtés se trouvait une galerie couverte. Le milieu, entouré de larges allées, était partagé en petits massifs. Toutes les élèves recevaient en entrant un de ces petits massifs pour le cultiver, de sorte que chaque carré avait son propriétaire. En été, lorsque la terre était couverte de fleurs, ces petits jardins devaient être charmants à voir ; mais à la fin de janvier, tout était gelé, pâle et triste, je frissonnai et je regardai autour de moi.

Le jour n’était pas propice aux exercices du dehors ; non pas qu’il fût précisément pluvieux, mais il était assombri par un brouillard épais, qui commençait à se résoudre en une pluie fine. Les orages de la veille avaient maintenu la terre humide. Les plus fortes des jeunes filles couraient de côté et d’autre et se livraient à des exercices violents ; quelques-unes, pâles et maigres, allaient chercher un abri et de la chaleur sous la galerie ; on entendait souvent une toux creuse sortir de leurs poitrines.

Je n’avais encore parlé à personne, et personne ne semblait faire attention à moi ; j’étais seule, mais l’isolement ne me pesait pas ; j’y étais habituée. Je m’appuyai contre une des colonnes de la galerie, ramenant sur ma poitrine mon manteau de drap ; je tâchai d’oublier le froid qui m’assaillait au dehors et la faim qui me rongeait au dedans. Tout mon temps fut employé à examiner et à penser ; mais mes réflexions étaient trop vagues et trop entrecoupées pour pouvoir être rapportées. Je savais à peine où j’étais ; Gateshead et ma vie passée flottaient