Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/74

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classe ; Mlle Miller m’avait chaudement complimentée ; Mlle Temple m’avait accordé un sourire approbateur, et s’était engagée à m’enseigner le dessin et à me faire apprendre le français, si mes progrès continuaient pendant deux mois. J’étais aimée de mes compagnes ; celles de mon âge me traitaient en égale ; les grandes ne me tracassaient pas : et maintenant j’allais être jetée à terre de nouveau, être foulée aux pieds sans savoir si je pourrais jamais me relever.

« Non, je ne le pourrai pas, » pensai-je en moi-même, et je me mis à désirer sincèrement la mort.

Comme je murmurais ce souhait au milieu de mes sanglots, quelqu’un s’approcha, je tressaillis ; Hélène Burns était près de moi, la flamme du foyer me l’avait montrée traversant la longue chambre déserte. Elle m’apportait mon pain et mon café.

« Mangez quelque chose, » me dit-elle.

Mais je repoussai ce qu’elle m’avait offert, sentant que, dans la situation où je me trouvais, une goutte de café ou une miette de pain me ferait mal. Hélène me regarda probablement avec surprise ; quels que fussent mes efforts, je ne pouvais pas faire cesser mon agitation, je continuais à pleurer tout haut. Elle s’assit près de moi, tenant ses genoux entre ses bras et y appuyant sa tête ; mais elle demeurait silencieuse comme une Indienne. Je fus la première à parler.

« Hélène, dis-je, pourquoi restez-vous avec une enfant que tout le monde considère comme une menteuse ?

— Tout le monde, Jane ? À peine quatre-vingts personnes vous ont entendu donner ce titre, et le monde en contient des centaines de millions.

— Que m’importent ces millions ? Les quatre-vingts que je connais me méprisent.

— Jane, vous vous trompez ; il est probable que pas une des élèves ne vous méprise ni ne vous hait, et beaucoup vous plaignent, j’en suis sûre.

— Comment peuvent-elles me plaindre, après ce qu’a dit M. Brockelhurst ?

— M. Brockelhurst n’est pas un Dieu ; ce n’est pas un homme en qui l’on ait confiance. Personne ne l’aime ici, car il n’a jamais rien fait pour gagner notre affection. S’il vous eût accordé des faveurs spéciales, vous auriez sans doute trouvé tout autour de vous des ennemies, soit déclarées, soit secrètes. Mais, après tout ce qui s’est passé, presque toutes voudraient vous témoigner de la sympathie, si elles l’osaient. Maîtresses et élèves pourront vous regarder froidement pendant un jour ou deux ; mais des senti-