Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

permet toujours de prendre la parole pour sa défense. Vous avez été chargée d’une faute qui n’est pas la vôtre ; défendez-vous aussi bien que vous le pourrez ; dites tout ce que vous offrira votre mémoire ; mais n’ajoutez rien, n’exagérez rien. »

Je résolus, au fond de mon cœur, d’être modérée et exacte : et, après avoir réfléchi quelques minutes pour mettre de l’ordre dans ce que j’avais à dire, je me mis à raconter toute l’histoire de ma triste enfance.

J’étais épuisée par l’émotion ; aussi mes paroles furent-elles plus douces qu’elles ne l’étaient d’ordinaire lorsque j’abordais ce sujet douloureux. Me rappelant ce qu’Hélène m’avait dit sur l’indulgence, je mis dans mon récit bien moins de fiel que je n’en mettais d’habitude ; raconté ainsi, il était plus vraisemblable, et, à mesure que j’avançais, je sentais que Mlle Temple me croyait entièrement.

Dans le courant de mon récit, j’avais parlé de M. Loyd comme étant venu me voir après mon accès, car je n’avais point oublié le terrible épisode de la chambre rouge. J’avais même craint qu’en le racontant, mon irritation ne me fît dépasser en quelque sorte les justes limites. Rien ne pouvait, en effet, adoucir en moi le souvenir de cette douloureuse agonie qui s’était alors emparée de mon cœur, et je me rappelais toujours comment Mme Reed avait dédaigné mes instantes supplications, et m’avait enfermée pour la seconde fois dans cette sombre chambre, que je croyais hantée par un esprit.

J’avais achevé ; Mlle Temple me regarda en silence pendant quelques minutes ; puis elle me dit :

« Je connais M. Loyd, je lui écrirai ; si sa réponse s’accorde avec ce que vous avez dit, vous serez publiquement déchargée de toute accusation ; pour moi, Jane, dès à présent je vous considère comme innocente. »

Elle m’embrassa et me garda près d’elle. J’en fus heureuse, car je prenais un plaisir d’enfant à contempler sa figure, ses vêtements, ses bijoux, son front pur, ses cheveux brillants, ses yeux noirs qui rayonnaient. Se tournant alors vers Hélène, elle lui dit :

« Comment êtes-vous ce soir, Hélène ? avez-vous beaucoup toussé aujourd’hui ?

— Pas tout à fait autant que de coutume, je crois, madame.

— Et comment vont vos douleurs de poitrine ?

— Un peu mieux. »

Mlle Temple se leva, prit la main d’Hélène, et tâta son pouls ; puis elle retourna à sa place, et je l’entendis soupirer.