Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/84

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lir un petit bouquet d’herbes et de fleurs destinées à orner un cercueil.

Quant à moi et à toutes celles dont la santé s’était maintenue, nous jouissions pleinement des beautés du lieu et de la saison. Depuis le matin jusqu’au soir on nous laissait courir dans les bois comme des bohémiennes ; nous agissions à notre fantaisie, nous allions où nous poussait le caprice ; puis notre régime était meilleur que jadis. M. Brockelhurst et sa famille n’approchaient plus de Lowood, toute inspection avait cessé ; effrayée de l’épidémie, l’avare femme de charge était partie. Celle qui la remplaçait avait été employée au Dispensaire de Lowton, et, ne connaissant pas les habitudes de sa nouvelle place, elle distribuait les aliments avec plus de libéralité. Il y avait d’ailleurs moins de monde à nourrir ; les malades mangeaient peu, de sorte que nos plats se trouvaient plus copieux.

Lorsqu’on n’avait pas le temps de préparer le dîner, ce qui arrivait souvent, on nous donnait un gros morceau de pâté froid ou une épaisse tartine de pain et de fromage ; nous emportions alors notre repas dans les bois, où nous choisissions l’endroit qui nous plaisait le mieux, et nous dînions somptueusement sur l’herbe.

Ma place favorite était une pierre large et unie qui dominait le ruisseau ; on ne pouvait y arriver qu’en traversant l’eau, trajet que je faisais toujours nu-pieds. Cette pierre était juste assez large pour qu’on pût commodément s’y asseoir à deux ; je m’y rendais avec une autre enfant.

À cette époque, ma compagne favorite était Marianne Wilson, petite personne fine et observatrice, dont la compagnie me plaisait, tant à cause de son esprit et de son originalité, qu’à cause de ses manières qui me mettaient à l’aise. Plus âgée que moi de quelques années, elle connaissait mieux le monde, et pouvait me raconter les choses que j’aimais à entendre. Près d’elle ma curiosité était satisfaite ; elle était indulgente pour tous mes défauts, et ne cherchait jamais à mettre un frein à mes paroles. Elle avait un penchant pour le récit, moi pour l’analyse ; elle aimait à donner des détails, moi à en demander ; nous nous convenions donc très bien, et nous tirions de nos conversations mutuelles sinon beaucoup d’utilité, du moins beaucoup de plaisir.

Mais, pendant ce temps, que devenait Hélène Burns ? Pourquoi ne pouvais-je pas passer avec elle ces douces journées de liberté ? L’avais-je oubliée ? ou étais-je assez indigne d’elle pour m’être fatiguée de sa noble intimité ? Certes Marianne Wilson