Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/121

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pause ; mais il n’est pas probable que nous puissions loger une vagabonde.

— Laissez-moi parler à vos maîtresses.

— Non. Que pourraient-elles faire pour vous ? Vous ne devriez pas errer par les chemins à cette heure ; ce n’est pas bien.

— Mais où irai-je, si vous me chassez ? Que ferai-je ?

— Oh ! je suis bien sûre que vous savez où aller et quoi faire. Tout ce que je vous conseille, c’est de ne rien faire de mal. Voilà deux sous ; maintenant, partez.

— De l’argent ne pourra pas me nourrir, et je n’ai pas la force d’aller plus loin. Ne me fermez pas la porte, je vous en supplie, pour l’amour de Dieu !

— Il le faut, la pluie entre dans la maison.

— Dites seulement aux jeunes dames, que je voudrais leur parler ; laissez-moi les voir.

— Non certainement ; vous n’êtes pas ce que vous devriez être, ou vous ne feriez pas un tel bruit. Partez.

— Mais je mourrai, si vous me chassez !

— Je suis bien sûre que non. Je crains que quelque mauvaise pensée ne vous pousse à errer à cette heure autour des maisons. Si vous êtes suivie par des voleurs ou des gens de cette espèce, vous n’avez qu’à leur dire que nous ne sommes pas seules à la maison ; que nous avons un homme, des chiens et des fusils. »

Et alors la servante, honnête mais inflexible, ferma la porte, et la verrouilla en dedans.

C’était le comble de mes maux. Une douleur infinie brisa mon cœur ; un sanglot de profond désespoir le souleva. J’étais épuisée ; je ne pouvais plus faire un pas ; je tombai en gémissant sur les marches mouillées. Je joignis mes mains, et je me mis à pleurer amèrement. Oh ! le spectre de la mort ! Oh ! mon heure dernière qui approche au milieu de tant d’horreurs ! Hélas ! quelle solitude ! quel bannissement loin de mes semblables ! Ce n’était pas seulement l’espérance qui s’était envolée, mais aussi le courage qui m’avait abandonnée, pour un moment du moins ; mais bientôt je m’efforçai de redevenir ferme.

« Je ne puis que mourir, me dis-je ; mais je crois en Dieu, et j’essayerai d’attendre en silence l’accomplissement de sa volonté. »

Ces mots, je ne les avais pas seulement pensés, mais je les avais murmurés à demi-voix ; refoulant ma souffrance au fond de mon cœur, je la forçai à y rester tranquille et silencieuse.