Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Alors vous êtes mes cousins ; la moitié de notre sang coule de la même source ?

— Oui, nous sommes cousins. »

Je le regardai ; il me sembla que j’avais trouvé un frère, un frère dont je pouvais être orgueilleuse et que je pouvais aimer ; deux sœurs dont les qualités étaient telles, qu’elles m’avaient inspiré une profonde amitié et une grande admiration, même lorsque je ne voyais en elles que des étrangères. Ces deux jeunes filles, que j’avais contemplées avec un mélange amer d’intérêt et de désespoir, lorsque, agenouillée sur la terre humide, j’avais regardé à travers l’étroite fenêtre de Moor-House, ces deux jeunes filles étaient mes parentes ; cet homme jeune et grand, qui m’avait ramassée mourante sur le seuil de sa maison, m’était allié par le sang : bienheureuse découverte pour une pauvre abandonnée ! C’était là une véritable richesse, une richesse du cœur ! une mine d’affections pures et naturelles ! C’était un bonheur vif, immense et enivrant, qui ne ressemblait pas à celui que j’avais éprouvé en apprenant que j’étais riche ; car, quoique cette nouvelle eût été la bienvenue, je n’en avais ressenti qu’une joie modérée. Dans l’exaltation de ce bonheur soudain, je joignis les mains ; mon pouls bondissait, mes veines battaient avec force.

« Oh ! je suis heureuse ! je suis heureuse ! » m’écriai-je.

Saint-John sourit.

« N’avais-je pas raison de vous dire que vous négligiez les points essentiels pour vous occuper de niaiseries ? reprit-il. Vous êtes restée sérieuse quand je vous ai appris que vous étiez riche ; et maintenant, voyez votre exaltation pour une chose sans importance.

— Que voulez-vous dire ? Peut-être est-ce de peu d’importance pour vous. Vous avez des sœurs, vous n’avez pas besoin d’une cousine ; mais moi, je n’avais personne. Trois parents, ou deux, si vous ne voulez pas que je vous compte, viennent de naître pour moi. Oui, je le répète, je suis heureuse ! »

Je me promenai rapidement dans ma chambre ; puis je m’arrêtai, suffoquée par les pensées qui s’élevaient en moi, trop rapides pour que je pusse les recevoir, les comprendre et les mettre en ordre. Je songeais à tout ce qui pourrait avoir lieu et aurait lieu avant longtemps ; je regardais les murailles blanches, et je crus voir un ciel couvert d’étoiles, dont chacune me conduisait vers un but délicieux. Enfin, je pouvais faire quelque chose pour ceux qui m’avaient sauvé la vie, et que jusque-là j’avais aimés d’un amour inutile. Ils étaient sous un joug, et je pouvais