Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/125

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Bien à contre-cœur, je me laissai persuader de quitter Hurle-Vent et de la suivre ici. Le petit Hareton avait à peine cinq ans et je venais de commencer à lui apprendre ses lettres. Notre séparation fut triste ; mais les larmes de Catherine eurent plus d’empire que les nôtres. Quand je refusai de partir et qu’elle vit que ses prières ne m’ébranlaient pas, elle alla se lamenter auprès de son mari et de son frère. Le premier m’offrit des gages magnifiques ; l’autre m’ordonna de faire mes paquets. Il n’avait plus besoin de femmes dans la maison, dit-il, maintenant qu’il n’y avait plus de maîtresse ; quant à Hareton, le pasteur se chargerait bientôt de lui. Ainsi, je n’eus pas d’autre parti à prendre que de faire ce qu’on m’imposait. Je déclarai à mon maître qu’il ne se débarrassait de tout ce qu’il y avait de convenable dans la maison que pour courir un peu plus vite à sa ruine ; j’embrassai Hareton et lui dis adieu ; et depuis lors il a été pour moi un étranger. C’est une chose étrange à penser, mais je ne doute pas qu’il n’ait tout oublié d’Hélène Dean et n’ignore qu’il était pour elle, et qu’elle était pour lui, plus que le monde entier !


À cet endroit de son récit, ma femme de charge est venue à jeter un coup d’œil sur la pendule de la cheminée et a été stupéfaite en voyant les aiguilles marquer une heure et demie. Elle n’a pas voulu entendre parler de rester une seconde de plus ; à vrai dire, je me sentais moi-même disposé à remettre la suite de l’histoire. Maintenant qu’elle a disparu pour reposer et que j’ai encore médité pendant une heure ou deux, je vais rassembler mon courage pour aller me coucher aussi, en dépit d’une douloureuse paresse de la tête et des membres.