Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/22

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y sont dehors ! Mais vous n’êtes qu’eune prop’à rien, et c’est pas la peine d’user sa salive… vous n’amenderez jamais vos môvaises manières et vous irez dret chez l’diable, comme vot’mère avant vous !

Je m’imaginai un instant que ce morceau d’éloquence était à mon adresse. Passablement en colère, je m’avançai vers le vieux drôle avec l’intention de le jeter dehors à coups de pied. Mrs Heathcliff m’arrêta par sa réponse.

— Vieil hypocrite médisant ! répliqua-t-elle. N’avez-vous pas peur d’être emporté vous-même quand vous prononcez le nom du diable ? Je vous conseille d’éviter de m’irriter, ou je solliciterai votre enlèvement comme une faveur spéciale. Arrêtez ! Regardez un peu, Joseph, continua-t-elle en prenant sur un rayon un grand livre foncé. Je vais vous montrer mes progrès dans la magie noire : je serai bientôt en état de faire par elle maison nette. Ce n’est pas par hasard que la vache rouge est morte ; et votre rhumatisme ne peut guère être compté comme une grâce providentielle.

— Oh ! môvaise ! môvaise ! haleta le vieux ; le Seigneur nous délivre du mal !

— Non, impie ! vous êtes un réprouvé… allez vous-en, ou vous pâtirez sérieusement. Vous serez tous modelés en cire et en argile ; et le premier qui transgressera les bornes que je fixe sera… je ne veux pas dire ce qu’il lui arrivera… mais vous verrez. Allez ! j’ai l’œil sur vous !

La petite sorcière mit une feinte malignité dans ses beaux yeux, et Joseph, tremblant d’une sincère horreur, s’enfuit en priant et en répétant : « môvaise ! » Je pensai que la jeune femme avait dû se livrer à une sorte de sinistre plaisanterie ; à présent que nous étions seuls, j’essayai de l’intéresser à ma détresse.