Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/303

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il connaissait si bien. Catherine lui lança un coup d’œil narquois qui n’exprimait que peu d’admiration. Puis elle se mit en devoir de trouver elle-même des sujets d’amusement et s’en alla gaiement, d’un pas leste, en fredonnant un air pour suppléer au défaut de conversation.

— Je lui ai lié la langue, observa Heathcliff. Il ne risquera pas une seule parole de toute la promenade. Nelly, vous vous souvenez de moi quand j’avais son âge… ou même quand j’avais quelques années de moins. Ai-je jamais eu l’air aussi stupide, aussi empaillé, comme dit Joseph ?

— Plus, répliquai-je, car vous étiez plus morose, par-dessus le marché.

— Il me donne de la satisfaction, poursuivit-il en pensant tout haut. Il a répondu à mon attente. S’il eût été naturellement idiot, mon plaisir serait moitié moindre. Mais il n’est pas idiot ; et je peux sympathiser avec tous ses sentiments, les ayant éprouvés moi-même. Je sais très exactement ce qu’il souffre en ce moment, par exemple ; ce n’est d’ailleurs qu’un simple avant-goût de ce qu’il souffrira. Il ne sera jamais capable de sortir de son abîme de grossièreté et d’ignorance. Je le tiens mieux que ne me tenait son coquin de père, et je l’ai fait descendre plus bas, car il s’enorgueillit de son abrutissement. Je lui ai appris à mépriser comme une sottise et une faiblesse tout ce qui n’est pas purement animal. Ne croyez-vous pas que Hindley serait fier de son fils, s’il pouvait le voir ? Presque aussi fier que je le suis du mien. Mais il y a une différence : l’un est de l’or employé comme pierre de pavage, l’autre du fer-blanc poli pour jouer un service d’argent. Le mien n’a aucune valeur en soi ; pourtant j’aurai le mérite de le pousser aussi loin qu’un si pauvre hère peut aller.