Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/516

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rable tyrannie ; vous exaspérez mon caractère et me tenez dans un continuel état d’irritation. Quant à vos petites maximes, à vos règles étroites, à vos préjugés, à vos aversions, à vos dogmes, faites-en un fagot, et allez l’offrir en sacrifice à la divinité de votre culte. Je n’en accepte aucun ; je me dirige d’après une autre religion, une autre lumière, une autre foi, une autre espérance que les vôtres.

— Une autre religion ! Je crois qu’elle est infidèle.

— Une infidèle pour votre culte ; une athée pour votre Dieu.

Une… athée !!!

— Votre Dieu, monsieur, c’est le Monde. À mes yeux, vous aussi, si vous n’êtes un infidèle, êtes un idolâtre ; je crois que vous adorez par ignorance : en toute chose vous me paraissez trop superstitieux. Monsieur, votre Dieu, votre grand Baal, votre Dragon à queue de poisson, se dresse devant moi comme un démon. Vous, et d’autres semblables à vous, l’avez élevé sur un trône, lui avez placé sur la tête une couronne, lui avez mis un sceptre à la main. Voyez comme il gouverne hideusement ! Voyez-le occupé à l’œuvre qu’il aime le mieux : faire des mariages. Il lie le jeune au vieux, le fort à l’impotent. Comme autrefois Mézence, il enchaîne le mort au vivant. Dans son royaume est la haine, la secrète haine ; la trahison, la trahison de famille ; le vice, le vice domestique, profond et mortel. Dans ses États les enfants croissent sans aimer, entre des parents qui n’ont jamais connu l’amour ; ils sont mis dès leur naissance au régime de la déception ; ils sont élevés dans une atmosphère corrompue par le mensonge. Tout ce que votre Dieu environne se précipite vers la décrépitude : tout décline et dégénère sous son sceptre. Votre Dieu, c’est la Mort avec un masque.

— Voilà un langage terrible ! Mes filles et vous ne devez plus avoir de relations ensemble, miss Keeldar : il y a du danger pour elles dans la société d’une compagne telle que vous. Si je vous eusse connue plus tôt ! mais, tout extraordinaire que je vous croyais, je n’eusse jamais pensé…

— Maintenant, monsieur, commencez-vous à être persuadé qu’il est inutile de faire des projets pour moi ? qu’en agissant ainsi, vous semez le vent pour récolter la tempête ? Je balaye de mon chemin vos projets pareils à la toile d’araignée, afin de passer sans me souiller. J’ai jeté l’ancre sur une résolution que