Page:Brunet - Manuel du libraire, 1860, T01.djvu/29

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bien rarement maintenant. Toutefois l’influence que ces sortes de publications, émises simultanément chez l’étranger et chez nous, ont exercée dans le commerce sur le prix des livres modernes, est un fait accompli que j’ai dû prendre en grande considération. Et, qu’on le sache bien, cette influence déjà fort sensible à l’égard des éditions usuelles, l’est devenue bien davantage dans la classe des grands livres de luxe, que ni les types élégants des Didot, des Bodoni, des Bulmer et des Bensley, ni le burin des premiers artistes n’ont pu toujours préserver de l’injuste défaveur qui s’applique encore aujourd’hui aux belles éditions des classiques grecs imprimés de format in-folio.

Telle fut la première cause des difficultés qui se présentèrent à mon esprit, lorsque je songeai à préparer une quatrième édition du Manuel, que la rareté et le haut prix de la troisième rendaient indispensable. Mais bientôt j’eus de plus grands obstacles à surmonter ; car tandis que, devenu tout à fait libre de mon temps et de toute affaire, je me livrais sans relâche aux recherches nécessaires pour réaliser mon projet, il s’opérait dans notre littérature, et surtout dans les études historiques, une révolution soudaine, qui, en appelant l’attention des bibliophiles sur le moyen âge, si longtemps négligé parmi nous, donnait à une classe nombreuse de livres une importance et une valeur que je n’avais pas pu prévoir en commençant mon travail ; et en même temps que ce mouvement favorable à ce qu’on appelle les livres anciens se faisait sentir, une réaction toute contraire frappait de discrédit des productions littéraires plus récentes et naguère fort recherchées. Au milieu de la confusion que tant de causes diverses apportaient dans le domaine de la bibliographie, il devenait tout à fait impossible de donner quelque consistance à un répertoire de la nature du mien ; c’est ce qui me fit ajourner la publication de ma nouvelle édition, et me détermina à publier un ouvrage transitoire, où je réunis, sous forme de supplément, la plupart des nombreuses notices que m’avaient procurées mes nouvelles recherches.

Quoique, depuis la publication de ce dernier ouvrage, et pour ma propre satisfaction, j’eusse continué sans interruption mes études favorites ; bien que peut-être aussi le nouvel état de choses signalé plus haut eût acquis un certain degré de stabilité, il est fort douteux que, déjà arrivé à un âge assez avancé, je me fusse déterminé à entreprendre la tâche pénible à laquelle je me suis de nouveau condamné, s’il n’avait pas pris fantaisie aux contrefacteurs belges de donner du Manue une édition où se trouvent réunis ou plutôt confondus le texte de 1820 et celui de 1834, c’est-à-dire deux choses fort souvent contradictoires, et qui, ainsi amalgamées, font de mon ouvrage un absurde farrago, tout à fait indigne d’être consulté. Mais, aiguillonné par la crainte de voir ainsi périr un livre auquel se trouve attaché mon nom, je pris la résolution d’en donner une nouvelle édition, améliorée et complétée dans toutes ses parties ; et c’est celle-là que je présentai de 1842 à 1844. Non-seulement je l’avais enrichie d’un grand nombre d’articles nouveaux, mais encore j’y avais donné aux anciens articles le développement nécessaire pour les mettre en harmonie avec mes Nouvelles Recherches, qui y étaient toutes conservées. Ce que j’ai déjà dit, soit de mon Dictionnaire, soit de la Table méthodique qui y est jointe, me dispense d’y revenir, si ce n’est pour ajouter que j’ai fait tous mes efforts pour que ce nouveau travail répondit aux exigences de l’époque[1], et qu’il fût autant

  1. Mes recherches se sont arrêtées à la fin de l’année 1840 (et pour la cinquième édition à la fin de 1860) ; néanmoins je n’ai pas négligé les ouvrages d’une date plus récente qui sont parvenus à ma connaissance pendant l’impression du mien, et qui m’ont paru de nature à être admis dans l’une ou l’autre partie du Manuel. Parmi les changements qu’ont subis mes deux dernières éditions, il en est un que je dois faire remarquer : c’est celui que j’ai fait dans