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ÉTUDES CRITIQUES.

qu’inspire aux âmes sensibles le bonheur d’être délivré d’un tyran, et de ces chants mélodieux on eût passé aux chants mâles de la musique guerrière… Citoyens représentants, nous marcherons constamment pour culbuter les tyrans et jamais pour les plaindre. » Les explications de Gossec donnent la note vraie. Et si pendant quelques mois la Convention, sur qui pèse le lourd souvenir de tout ce qu’elle a commis ou laissé commettre de crimes, est obligée de subir le mouvement de l’opinion, de laisser chanter le Réveil du peuple et siffler la Marseillaise, de laisser crier : A bas les terroristes ! à bas les jacobins ! et de souffrir qu’on traîne à l’égout les bustes de Marat, installés au foyer des théâtres, le Directoire va faire revivre les procédés tyranniques de la Terreur elle-même.

Le 4 janvier 1796, le Directoire rend l’arrêté suivant : « Tous les directeurs, entrepreneurs et propriétaires des spectacles de Paris, sont tenus, sous leur responsabilité individuelle, de faire jouer chaque jour par leur orchestre, avant la levée de la toile, les airs chéris des républicains, tels que la Marseillaise, Ça ira, Veillons au salut de l’empire, le Chant du départ. Dans l’intervalle des deux pièces, on chantera toujours l’Hymne des Marseillais ou quelque autre chant patriotique. » Merlin, ministre de la police, tient la main à l’exécution de l’arrêté. Un soir, au théâtre Feydeau, le chant patriotique est chanté par un acteur « dont l’air gauche et embarrassé ne pouvait manquer d’exciter le rire des spectateurs ». Le ministre aussitôt de prendre la plume et d éi^riie au bureau central : « Je vous invite à veiller sévère-