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ÉTUDES CRITIQUES

peiner pour l’entendre, et il aime encore mieux passer pour superficiel que pour obscur.

Ne convient-il pas d’ajouter que dans une littérature éminemment sociale, comme la littérature française, où les intérêts qu’on agite sont par définition les intérêts de l’humanité même, les occasions d’être profond, au sens philosophique du mot, sont naturellement moins fréquentes que dans une littérature, comme l’allemande, où la grande prétention de l’écrivain est d’atteindre les noumènes de tout ? Pour discuter utilement la question de la tolérance, ou celle de la souveraineté populaire, ayant besoin de moins d’appareil — si d’ailleurs on a besoin d’autant de pénétration, — on a donc moins de chances aussi détonner ou de surprendre qu’à traiter la question de savoir « comment le Moi et le non-Moi, posés dans le Moi par le Moi, se limitent réciproquement ». Un Français l’aurait posée d’une manière plus simple, mais, évidemment, il aurait paru moins profond. L’aurait-il posée seulement ? Et puisque nous savons bien nous distinguer nous-mêmes du monde qui nous environne, n’eût-il pas plutôt renvoyé le problème aux Universités, comme n’étant d’aucune utilité pratique. Qu’est-ce encore à dire là, sinon que, dans la mesure où la littérature française mérite le reproche d’avoir manqué de profondeur, c’est comme si l’on lui reprochait de n’être pas la littérature allemande ? Voilà un reproche bien allemand !

J’en dirais presque autant de son prétendu défaut d’originalité, que je ne repousse pas non plus, mais que j’explique, et que je rapporte encore à ce même caractère social. On peut bien vivre, si l’on veut, en