Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« qu’il aimait », c’était la vérité comme il la concevait ; et il ne la concevait ni simple ni directe, mais « complexe » et, pour ainsi dire, nuancée de couleurs, qui se modifiaient, comme font toutes les couleurs, en se juxtaposant. Ne nous l’a-t-il pas dit lui-même, qu’il aurait aimé qu’on l’imprimât en « plusieurs encres » dont les teintes auraient exprimé le degré variable et changeant de ses certitudes[1]. Ah ! il avait profité de la grande leçon de l’hégélianisme, qui est que l’expression d’une vérité n’est complète qu’autant que, par un artifice de vocabulaire ou de syntaxe, on réussit à y faire entrer l’expression de son contraire. C’est pourquoi si sa manière d’écrire n’est pas précisément « insincère », elle est ordinairement fuyante, et il ne dit rien qui ne soit ordinairement plein de sens, mais on n’est jamais sûr que ce sens soit le sien.

Nous en avons un bon exemple dans la manière dont il a, pendant quarante ans, opposé « la

  1. On a depuis lors exécuté ainsi des Bibles polychromes, où les différents âges que les exégètes attribuent aux différentes parties du livre sont distingués par des teintes plates, — rouge, verte, jaune, bleue, — juxtaposées et réimposées à la composition du texte.