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Page:Brunschvicg - L'expérience humaine et la causalité physique, 1922.djvu/514

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travail du mathématicien l’esprit de finesse, la fonction de discernement et de jugement. Or la tâche du philosophe ne doit-elle pas être de mettre à profit, pour le faire parvenir à une claire conscience intellectuelle, le renouvellement simultané des perspectives dans les différents domaines du savoir humain ?

La chose irait de soi si elle ne se heurtait au préjugé positiviste. Le positivisme (et c’est en cela qu’il nous a fourni une base si précieuse pour comprendre la marche de la pensée au cours du dernier siècle) est né de ce postulat que chaque ordre de science a le droit de découper un territoire à jamais délimité dans l’encyclopédie hiérarchique de la connaissance humaine ; à l’intérieur de ce territoire, principes et méthodes présentent une constitution définitive, destinée à régir légalement, et les résultats acquis déjà, et ceux qu’on peut attendre de l’avenir. Il faut ajouter que, par derrière le préjugé positiviste, on retrouve, sinon l’inspiration critique, du moins l’aspect que prend la doctrine kantienne avec le tableau des catégories inspiré par le respect de la tradition scolastique. La distinction des disciplines scientifiques y apparaît liée à la spécificité des catégories essentielles et permanentes.

C’est donc un double courant que la philosophie des sciences avait à remonter. Assurément, entre une science d’une part, et d’autre part une catégorie ou un faisceau de notions, nous ne contestons pas qu’il y ait une certaine correspondance. Mais nous cessons d’en conclure que l’on témoignera d’un esprit d’autant plus philosophique que l’on poussera cette correspondance jusqu’à l’absolu, dans l’espoir d’y appuyer un système, d’où peut-être à son tour cette correspondance se déduirait. La réflexion du philosophe se caractérise tout aussi bien (et il s’est trouvé en fait qu’elle est beaucoup plus féconde) quand elle soumet cette correspondance à une analyse de détail qui en mesure l’exacte portée, quand elle se soucie de retenir les cas d’absence au même titre que les cas de présence, considérant tout à la fois les « particularités d’accord ou de désaccord » (ainsi que le dit Cournot dans l’Avertissement du livre qu’il a intitulé précisément : De l’origine et des limites de la Correspondance entre l’algèbre et la géométrie, et qu’à cet égard il est curieux de comparer avec l’ouvrage, analogue en substance, mais plus raide et plus dogmatique d’allures, publié par Auguste Comte quatre ans auparavant : Traité Élémentaire de Géométrie analytique à deux et à trois dimensions contenant toutes les théories générales de géométrie accessibles à l’analyse ordinaire. (Mars 1843.)