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Et quand même ces deux causes réunies ne seraient pas suffisantes pour produire une si grande différence de temps entre ces deux populations, l’on doit considérer que l’équateur a reçu les eaux de l’atmosphère bien plus tard que les pôles, et que par conséquent cette cause secondaire du refroidissement agissant plus promptement et plus puissamment que les deux premières causes, la chaleur des terres du nord se sera considérablement attiédie par la recette des eaux, tandis que la chaleur des terres méridionales se maintenait et ne pouvait diminuer que par sa propre déperdition. Et quand même on m’objecterait que la chute des eaux, soit sur l’équateur, soit sur les pôles, n’étant que la suite du refroidissement à un certain degré de chacune de ces deux parties du globe, elle n’a eu lieu dans l’une et dans l’autre que quand la température de la terre et celle des eaux tombantes ont été respectivement les mêmes, et que par conséquent cette chute d’eau n’a pas autant contribué que je le dis à accélérer le refroidissement sous le pôle plus que sous l’équateur, on sera forcé de convenir que les vapeurs, et par conséquent les eaux tombantes sur l’équateur, avaient plus de chaleur à cause de l’action du soleil, et que par cette raison elles ont refroidi plus lentement les terres de la zone torride, en sorte que j’admettrais au moins neuf à dix mille ans entre le temps de la naissance des éléphants dans les contrées septentrionales et le temps où ils se sont retirés jusqu’aux contrées les plus méridionales : car le froid ne venait et ne vient encore que d’en haut ; les pluies continuelles qui tombaient sur les parties polaires du globe en accéléraient incessamment le refroidissement, tandis qu’aucune cause extérieure ne contribuait à celui des parties de l’équateur. Or, cette cause qui nous paraît si sensible par les neiges de nos hivers et les grêles de notre été, ce froid qui des hautes régions de l’air nous arrive par intervalles, tombait à plomb et sans interruption sur les terres septentrionales, et les a refroidies bien plus promptement que n’ont pu se refroidir les terres de l’équateur, sur lesquelles ces ministres du froid, l’eau, la neige et la grêle, ne pouvaient agir ni tomber. D’ailleurs nous devons faire entrer ici une considération très importante sur les limites qui bornent la durée de la nature vivante : nous en avons établi le premier terme possible à trente-cinq mille ans de la formation du globe terrestre, et le dernier terme à quatre-vingt-treize mille ans à dater de ce jour, ce qui fait cent trente-deux mille ans pour la durée absolue de cette belle nature[1]. Voilà les limites les plus éloignées et la plus grande étendue de durée que nous ayons donnée, d’après nos hypothèses, à la vie de la nature sensible ; cette vie aura pu commencer à trente-cinq ou trente-six mille ans, parce qu’alors le globe était assez refroidi à ses parties polaires pour qu’on pût le toucher sans se brûler, et elle pourra ne finir que dans quatre-vingt-treize mille ans, lorsque le globe sera plus

  1. Voyez le tableau, t. Ier, p. 395.