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tandis qu’au contraire dans les terres de l’Amérique méridionale, où les grands animaux du nord n’ont pu pénétrer, les molécules organiques vivantes ne se trouvant absorbées par aucun moule animal déjà subsistant, elles se seront réunies pour former des espèces qui ne ressemblent point aux autres, et qui toutes sont inférieures, tant par la force que par la grandeur, à celles des animaux venus du nord.

Ces deux formations, quoique d’un temps différent, se sont faites de la même manière et par les mêmes moyens ; et si les premières sont supérieures à tous égards aux dernières, c’est que la fécondité de la terre, c’est-à-dire la quantité de la matière organique vivante, était moins abondante dans ces climats méridionaux que dans celui du nord. On peut en donner la raison, sans la chercher ailleurs que dans notre hypothèse : car toutes les parties aqueuses, huileuses et ductiles, qui devaient entrer dans la composition des êtres organisés sont tombées avec les eaux sur les parties septentrionales du globe, bien plus tôt et en bien plus grande quantité que sur les parties méridionales : c’est dans ces matières aqueuses et ductiles que les molécules organiques vivantes ont commencé à exercer leur puissance pour modeler et développer les corps organisés ; et comme les molécules organiques ne sont produites que par la chaleur sur les matières ductiles, elles étaient aussi plus abondantes dans les terres du nord qu’elles n’ont pu l’être dans les terres du midi, où ces mêmes matières étaient en moindre quantité, il n’est pas étonnant que les premières, les plus fortes et les plus grandes productions de la nature vivante se soient faites dans ces mêmes terres du nord, tandis que dans celles de l’équateur, et particulièrement dans celles de l’Amérique méridionale, où la quantité de ces mêmes matières ductiles était bien moindre, il ne s’est formé que des espèces inférieures plus petites et plus faibles que celles des terres du nord.

Mais revenons à l’objet principal de notre époque : dans ce même temps où les éléphants habitaient nos terres septentrionales, les arbres et les plantes qui couvrent actuellement nos contrées méridionales existaient aussi dans ces mêmes terres du nord. Les monuments semblent le démontrer ; car toutes les impressions bien avérées des plantes qu’on a trouvées dans nos ardoises et nos charbons, présentent la figure de plantes qui n’existent actuellement que dans les Grandes Indes ou dans les autres parties du midi. On pourra m’objecter, malgré la certitude du fait par l’évidence de ces preuves, que les arbres et les plantes n’ont pu voyager comme les animaux, ni par conséquent se transporter du nord au midi. À cela je réponds : 1o que ce transport ne s’est pas fait tout à coup, mais successivement ; les espèces de végétaux se sont semées de proche en proche dans les terres dont la température leur devenait convenable[NdÉ 1] ; et ensuite ces mêmes espèces,

  1. Le déplacement ou, si l’on veut, la migration des végétaux est aussi bien démontrée que celui des animaux ; et Buffon a raison de dire que les plantes, comme les animaux, se