Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 1.pdf/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laissent pas de se transmettre et de se propager par la même voie que les propriétés spécifiques ; il était donc plus facile à l’homme d’influer sur la nature des animaux que sur celle des végétaux[NdÉ 1]. Les races dans chaque espèce d’animal ne sont que des variétés constantes qui se perpétuent par la génération, au lieu que dans les espèces végétales il n’y a point de races, point de variétés assez constantes pour être perpétuées par la reproduction[NdÉ 2]. Dans les seules espèces de la poule et du pigeon, l’on a fait naître très récemment de nouvelles races en grand nombre, qui toutes peuvent se propager d’elles-mêmes ; tous les jours dans les autres espèces on relève, on ennoblit les races en les croisant ; de temps en temps on acclimate, on civilise quelques espèces étrangères ou sauvages. Tous ces exemples modernes et récents prouvent que l’homme n’a connu que tard l’étendue de sa puissance, et que même il ne la connaît pas encore assez ; elle dépend en entier de l’exercice de son intelligence ; ainsi, plus il observera, plus il cultivera la nature, plus il aura de moyens pour se la soumettre et de faciles pour tirer de son sein des richesses nouvelles, sans diminuer les trésors de son inépuisable fécondité.

Et que ne pourrait-il pas sur lui-même, je veux dire sur sa propre espèce, si la volonté était toujours dirigée par l’intelligence ? Qui sait jusqu’à quel point l’homme pourrait perfectionner sa nature, soit au moral, soit au physique ? Y a-t-il une seule nation qui puisse se vanter d’être arrivée au meilleur gouvernement possible, qui serait de rendre tous les hommes non pas également heureux, mais moins inégalement malheureux, en veillant à leur conservation, à l’épargne de leurs sueurs et de leur sang par la paix, par l’abondance des subsistances, par les aisances de la vie et les facilités pour leur propagation ? voilà le but moral de toute société qui chercherait à s’améliorer. Et pour le physique, la médecine et les autres arts dont l’objet est de nous conserver, sont-ils aussi avancés, aussi connus que les arts destructeurs enfantés par la guerre ? Il semble que de tout temps l’homme ait fait moins de réflexions sur le bien que de recherches pour le mal : toute société est mêlée de l’un et de l’autre ; et comme de tous les sentiments qui affectent la multitude, la crainte est le plus puissant, les grands talents dans l’art de faire du mal ont été les premiers qui aient frappé l’esprit de l’homme, ensuite ceux qui l’ont amusé ont occupé son cœur, et ce n’est qu’après un trop long usage de ces deux moyens de faux honneur et de plaisir stérile, qu’enfin il a reconnu que sa vraie gloire est la science, et la paix son vrai bonheur.


  1. L’hérédité se manifeste aussi bien chez les végétaux que chez les animaux.
  2. Chez les végétaux, comme chez les animaux, les races et les variétés peuvent être perpétuées par la reproduction.