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torride, qui sont ceux où la chaleur intérieure s’est conservée le plus longtemps par la plus grande épaisseur du sphéroïde de la terre, et les seules où cette chaleur, réunie avec celle du soleil, soit encore assez forte aujourd’hui pour maintenir leur nature et soutenir leur propagation.

De même on trouve en France, et dans toutes les autres parties de l’Europe, des coquilles, des squelettes et des vertèbres d’animaux marins qui ne peuvent subsister que dans les mers les plus méridionales. Il est donc arrivé pour les climats de la mer le même changement de température que pour ceux de la terre ; et ce second fait, s’expliquant, comme le premier, par la même cause, paraît confirmer le tout au point de la démonstration.

Lorsque l’on compare ces anciens monuments du premier âge de la nature vivante avec ses productions actuelles, on voit évidemment que la forme constitutive de chaque animal s’est conservée la même et sans altération dans ses principales parties : le type de chaque espèce n’a point changé ; le moule intérieur a conservé sa forme et n’a point varié. Quelque longue qu’on voulût imaginer la succession des temps, quelque nombre de générations qu’on admette ou qu’on suppose, les individus de chaque genre représentent aujourd’hui les formes de ceux des premiers siècles, surtout dans les espèces majeures, dont l’empreinte est plus ferme et la nature plus fixe : car les espèces inférieures ont, comme nous l’avons dit, éprouvé d’une manière sensible tous les effets des différentes causes de dégénération. Seulement il est à remarquer au sujet de ces espèces majeures, telles que l’éléphant et l’hippopotame, qu’en comparant leurs dépouilles antiques avec celles de notre temps, on voit qu’en général ces animaux étaient alors plus grands qu’ils ne le sont aujourd’hui : la nature était dans sa première vigueur ; la chaleur intérieure de la terre donnait à ses productions toute la force et toute l’étendue dont elles étaient susceptibles. Il y a eu dans ce premier âge des géants en tout genre : les nains et les pygmées sont arrivés depuis, c’est-à-dire après le refroidissement ; et si (comme d’autres monuments semblent le démontrer) il y a eu des espèces perdues, c’est-à-dire des animaux qui aient autrefois existé et qui n’existent plus, ce ne peuvent être que ceux dont la nature exigeait une chaleur plus grande que la chaleur actuelle de la zone torride. Ces énormes dents molaires, presque carrées et à grosses pointes mousses, ces grandes volutes pétrifiées, dont quelques-unes ont plusieurs pieds de diamètre[1] ; plusieurs autres poissons et coquillages fossiles dont on ne retrouve nulle part les analogues vivants, n’ont existé que dans ces premiers temps où la terre et la mer, encore chaudes, devaient nourrir des animaux auxquels ce degré de chaleur était nécessaire ; et qui ne subsistent plus aujourd’hui, parce que probablement ils ont péri par le refroidissement.

  1. Voyez ci-après les notes justificatives des faits.