Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/121

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égard était fondé sur ce que le suc pétrifiant[NdÉ 1] se forme sous nos yeux par la stillation des eaux pluviales dans nos collines calcaires, dont les pierres ont acquis, par un long dessèchement, leur solidité et leur dureté, au lieu que, dans la mer, ils présumaient qu’étant toujours pénétrées d’humidité, ces mêmes pierres ne pouvaient acquérir le dernier degré de leur consistance ; mais, comme je viens de le dire, cette présomption est démentie par les faits : il y a des rochers au fond des eaux tout aussi durs que ceux de nos terres les plus sèches ; les amas de graviers ou de coquilles d’abord pénétrés d’humidité, et sans cesse baignés par les eaux, n’ont pas laissé de se durcir avec le temps par le seul rapprochement et la réunion de leurs parties solides : plus elles se seront rapprochées, plus elles auront exclu les parties humides. Le suc pétrifiant, distillant continuellement de haut en bas, aura, comme dans nos rochers terrestres, achevé de remplir les interstices et les pores des bancs inférieurs de ces rochers sous-marins. On ne doit donc pas être étonné de trouver au fond des mers, à de très grandes distances de toute terre, de trouver, dis-je, avec la sonde des graviers calcaires aussi durs, aussi pétrifiés que nos graviers de la surface de la terre. En général, on peut assurer qu’il s’est fait, se fait et se fera partout une conversion successive de coquilles en pierres, de pierres en graviers et de graviers en pierres, selon que ces matières se trouvent remplies ou dénuées de cet extrait tiré de leur propre substance, qui seul peut achever l’ouvrage commencé par la force des affinités, et compléter celui de la pleine pétrification.

Et cet extrait sera lui-même d’autant plus pur et plus propre à former une masse plus solide et plus dure qu’il aura passé par un plus grand nombre de filières : plus il aura subi de filtrations depuis le banc supérieur, plus ce liquide pétrifiant sera chargé de molécules denses, parce que la matière des bancs inférieurs étant déjà plus dense, il ne peut en détacher que des parties de même densité. Nous verrons dans la suite que c’est à de doubles et triples filtrations qu’on doit attribuer l’origine de plusieurs stalactites du genre vitreux ; et quoique cela ne soit pas aussi apparent dans le genre calcaire, on voit néanmoins qu’il y a des spaths plus ou moins purs, et même plus ou moins durs, qui nous représentent les différentes qualités du suc pétrifiant dont ils ne sont que le résidu, ou, pour mieux dire, la substance même cristallisée et séparée de son eau superflue.

Dans les collines, dont les flancs sont ouverts par des carrières coupées à pic, l’on peut suivre les progrès et reconnaître les formes différentes de ce suc pétrifiant et pétrifié : on verra qu’il produit communément des concrétions de même nature que la matière à travers laquelle il a filtré ; si la colline est de craie et de pierre tendre sous la couche de terre végétale, l’eau, en passant dans cette première couche et s’infiltrant ensuite dans la craie, en détachera et entraînera toutes les molécules dont elle pourra se charger, et elle les déposera aux environs de ces carrières en forme de concrétions branchues et quelquefois fistuleuses, dont la substance est composée de poudre calcaire mêlée avec de la terre végétale, et dont les masses réunies forment un tuf plus léger et moins dur que la pierre ordinaire. Ces tufs ne sont en effet que des amas de concrétions, où l’on ne voit ni fentes perpendiculaires ni délits horizontaux, où l’on ne trouve jamais de coquilles marines, mais souvent de petits coquillages terrestres et des impressions de plantes, particulièrement de celles qui croissent sur le terrain de la colline même ; mais lorsque l’eau s’infiltre dans les bancs d’une pierre plus dure, il lui faut plus de temps pour en détacher des particules, parce qu’elles sont plus adhérentes et plus denses que dans la pierre tendre ; et dès lors les concrétions formées par la réunion de ces particules denses deviennent des congélations à peu près aussi solides que les pierres dont elles tirent leur origine ; la plupart seront même à demi transparentes, parce qu’elles ne contiennent que peu de matières hétérogènes

  1. Par cette expression impropre, Buffon veut sans doute désigner les dépôts calcaires abandonnés par les eaux qui ont traversé des roches calcaires.