Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/63

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mides solides de granit, sans fentes ni sutures, d’une très grande hauteur et d’un volume énorme[1] ; on en peut juger non seulement par l’inspection des montagnes graniteuses[2], mais même par les monuments des anciens : ils ont travaillé des blocs de granit de plus de vingt mille pieds cubes, pour en former des colonnes et des obélisques d’une seule pièce[3], et de nos jours on a remué des masses encore plus fortes, car le bloc de granit qui sert de piédestal à la statue équestre du grand Pierre Ier, élevée par l’ordre d’une impératrice encore plus grande[4], contient trente-sept mille pieds cubes : cependant ce bloc a été trouvé dans un marais, où il était isolé et détaché des hautes masses auxquelles il tenait avant sa chute. « Mais nulle part, nous dit M. l’abbé Bexon[5], on ne peut prendre une idée plus magnifique de ces masses énormes de granit que dans nos montagnes des Vosges : elles en offrent en mille endroits des blocs plus grands que tous ceux que l’on admire dans les plus superbes monuments, puisque les larges sommets et les flancs escarpés de ces montagnes ne sont que des piles et des groupes d’immenses rochers de granit entassés les uns sur les autres[6]. »

  1. Le plus bel endroit du passage du mont Saint-Gothard, et celui qui frappe le plus par son aspect, est un chemin taillé sur le roc comme un escalier ; là, une seule pièce de granit de quatre-vingts pieds de haut sur mille pas de front surplombe ce chemin. Voyage de M. Bourrit, t. II, chap. v.
  2. « Un œil exercé peut découvrir, même à de grandes distances, la matière dont un pic inaccessible est composé, surtout lorsqu’elle est d’un granit dur, comme dans les hautes Alpes. Les montagnes composées de ce genre de pierres ont leurs sommités terminées par des crénelures très aiguës à angles vifs ; leurs faces et leurs flancs sont de grandes tables planes, verticales, dont les angles sont aussi vifs et tranchants. La nuance même que la nature a souvent mise entre les roches de corne molles et les granits durs se marque à ces signes : les crêtes des sommets qui sont composés d’une roche de corne tendre paraissent arrondies, émoussées, sans physionomie ; mais à mesure que la pierre, en se chargeant de quartz et de feldspath, approche de la dureté du granit, on voit naître des créneaux plus distincts et des formes plus tranchées ; ces gradations s’observent à merveille sur l’aiguille inaccessible des Charmos qui domine le glacier des Bois dans le district de Chamouni. » Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 500.
  3. La colonne de Pompée, dont le fût est d’une seule pièce, passe pour être le plus grand monument des anciens en ce genre. « Cette colonne est, dit Thévenot, située à environ deux cents pas d’Alexandrie ; elle est posée sur un piédestal ou base carrée, large d’environ vingt pieds et haute de deux ou environ, mais faite de plusieurs grosses pierres : pour le fût de la colonne, il est tout d’une seule pièce de granit, si haute qu’elle n’a pas au monde sa pareille, car elle a dix-huit cannes de haut, et est si grosse qu’il faut six personnes pour l’embrasser. » Voyage au Levant, t. Ier, p. 227. En supposant la canne de cinq pieds de longueur, le fût de cette colonne en a quatre-vingt-dix de hauteur sur trente pieds de circonférence, parce que chaque homme, les bras étendus, embrasse aussi cinq pieds : ces dimensions donnent environ vingt mille pieds cubes. — « Nos montagnes européennes, dit M. Ferber, contiennent du granit rouge et du granit gris, et il n’y a pas de doute que l’on en pourrait tirer des blocs aussi beaux et aussi grands que le sont ceux des obélisques venus d’Égypte, si on voulait y mettre la main et y employer les sommes que les Romains dépensaient pour les avoir. » Lettres sur la minéralogie, p. 344.
  4. Catherine II, actuellement régnante, et dont l’Europe et l’Asie admirent et respectent également le grand caractère et le puissant génie.
  5. Mémoires sur l’Histoire naturelle de la Lorraine, communiqués par l’abbé Bexon.
  6. On vient depuis peu de commencer à travailler ces granits des Vosges, et les premiers essais ont découvert dans ces montagnes les plus grandes richesses en ce genre : elles offrent des granits très beaux et très variés pour le grain et pour les couleurs, et diverses espèces de porphyres ; on en tire aussi des jaspes richement colorés, et toutes ces matières s’y rencontrent partout dans une extrême abondance : quoique dans une exploita-