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grandes masses antiques dont ils tirent leur origine ; ils sont étendus en couches ou en lits, plus ou moins inclinés, et souvent horizontaux, au lieu d’être groupés en hauteur, entassés en pyramides, ou empilés en feuillets verticaux[1], comme le sont les véritables granits dans les grandes montagnes primitives : cette différence de position est un effet remarquable et frappant, qui d’un côté caractérise l’action du feu, dont la force expansive du centre à la circonférence ne pouvait qu’élancer, élever la matière et la grouper en hauteur, tandis que la seconde position présente l’ouvrage de l’eau, qui soumise à la loi de l’équilibre, et ne travaillant que par voie de transport et de dépôt, tend généralement à suivre la ligne horizontale.

Les granits secondaires sont donc formés des premiers débris du granit primitif, et les fragments rompus des uns et des autres, et roulés par les eaux, ont postérieurement rempli plusieurs vallées[2], et ont même formé par leur entassement des montagnes subalternes. Il se trouve des carrières, entières et en bancs étendus, de ces fragments de granits roulés et souvent mêlés de pareils fragments de quartz arrondis, comme ceux de granit, en forme de cailloux[3]. Mais ces couches sont, comme l’on voit, de seconde et même de troisième formation. Et dans le même temps que les eaux entraînaient, frois-

  1. C’est ce que M. de Saussure appelle des couches perpendiculaires, par une association de mots aussi insociables que les idées qu’ils présentent sont incompatibles ; car qui dit couches dit dépôt stratifié, étendu, couché enfin sur une ligne plus ou moins voisine de la ligne horizontale, et dont les feuillets se divisent en ce sens ; or, une telle masse, stratifiée horizontalement, ne peut rien offrir de perpendiculaire que les fissures ou sutures qui l’ont accidentellement divisée : la tranche perpendiculaire porte au contraire sa plus grande dimension sur la ligne de hauteur, elle se coupe en lames verticales ; et il est aussi impossible qu’elle ait été formée par la même cause que la couche horizontale, qu’il l’est que cette dernière devienne jamais perpendiculaire, si ce n’est par accident ; car il est indubitable que toutes les couches stratifiées par la mer, et qui ne doivent pas leur inclinaison aux causes accidentelles, comme la chute des cavernes, la tiennent des inclinaisons même, des pentes ou des coupes des masses primitives auxquelles elles sont venues s’adosser, s’adapter et se superposer, qui, en un mot, leur ont servi de base. Aussi M. de Saussure, après avoir fait la description et l’énumération de plusieurs de ces couches violemment inclinées ou presque perpendiculaires, rappelle-t-il tous ces faits particuliers à une observation qu’il regarde lui-même comme « générale et importante, savoir, que les montagnes secondaires sont d’autant plus irrégulières et plus inclinées, qu’elles approchent plus des primitives. »
  2. « Presque tous les ruisseaux qui se déchargent dans le gave de la vallée de Bastan roulent des blocs de granit : il y en a d’énormes à une petite distance de Barèges, et en si grande quantité, qu’on ne peut s’empêcher de penser que cette espèce de pierre a dû former anciennement de hautes montagnes dans cette partie des Pyrénées.

    » Les ruisseaux qui descendent du pic de Midi et du pic des Aiguillons entraînent aussi des blocs de granit. » Essai sur la minéralogie des monts Pyrénées, p. 257.

  3. La montagne où est le château de Molina (en Espagne) est très élevée, et son sommet est composé d’une masse de petits quartz arrondis et incrustés ou conglutinés avec le ciment naturel formé de sable et de pierre à chaux… À côté de la montagne de la Platilla, il y a une autre montagne composée de roche de tuf (ce tuf est un grès feuilleté), en couches inclinées, soutenues par un lit de quartz ronds, fortement conglutinés entre eux, comme ceux qui se trouvent au sommet de la montagne de Molina : ce lit suit la même pente que celui de la roche du tuf qui contient beaucoup de quartz enchâssés, qui viennent de ceux qui se sont détachés de leur grande masse par la destruction de la colline ; d’où l’on infère que ces quartz sont d’une origine antérieure aux lits de la roche de tuf, et que celle-ci était un sable menu avant d’être roche…

    À une demi-lieue de Molina, du côté de la mine de la Platilla, il y a une cavité d’environ cent cinquante pieds de profondeur et de vingt à quarante de largeur, formée dans une montagne déroché de sable rouge sur des bancs de quartz arrondis, conglutinés avec le