Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/312

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se réunissent et s’opposent à celles qui sont relatives à la répugnance, et c’est par la prépondérance, ou plutôt par l’excès de la force et du nombre des unes ou des autres, que l’animal serait, dans cette supposition, nécessairement déterminé à agir de telle ou telle façon.

Ceci nous fait voir que dans l’animal le sens intérieur ne diffère des sens extérieurs que par cette propriété qu’a le sens intérieur de conserver les ébranlements[NdÉ 1], les impressions qu’il a reçues ; cette propriété seule est suffisante pour expliquer toutes les actions des animaux et nous donner quelque idée de ce qui se passe dans leur intérieur ; elle peut aussi servir à démontrer la différence essentielle et infinie qui doit se trouver entre eux et nous, et en même temps à nous faire reconnaître ce que nous avons de commun avec eux.

Les animaux ont les sens excellents ; cependant ils ne les ont pas généralement tous aussi bons que l’homme, et il faut observer que les degrés d’excellence des sens suivent dans l’animal un autre ordre que dans l’homme. Le sens le plus relatif à la pensée et à la connaissance est le toucher ; l’homme, comme nous l’avons prouvé[1], a ce sens plus parfait que les animaux. L’odorat est le sens le plus relatif à l’instinct, à l’appétit ; l’animal a ce sens infiniment meilleur que l’homme : aussi l’homme doit plus connaître qu’appéter, et l’animal doit plus appéter que connaître. Dans l’homme, le premier des sens pour l’excellence est le toucher, et l’odorat est le dernier ; dans l’animal, l’odorat est le premier des sens, et le toucher est le dernier : cette différence est relative à la nature de l’un et de l’autre. Le sens de la vue ne peut avoir de sûreté et ne peut servir à la connaissance que par le secours du sens du toucher : aussi le sens de la vue est-il plus imparfait, ou plutôt acquiert moins de perfection dans l’animal que dans l’homme[NdÉ 2]. L’oreille,

  1. Voyez le Traité des sens, p. 126 et suiv.
  1. Buffon a déjà dit que tous les organes des sens jouissent de la même propriété ; il considère donc l’organe du sens intérieur, c’est-à-dire le cerveau, comme la possédant à un degré plus élevé.
  2. Cela n’est pas vrai pour tous les animaux. Chez les oiseaux, par exemple, le sens de la vue est beaucoup plus développé que chez l’homme. D’une façon générale, les considérations émises ici par Buffon sur la perfection relative des sens ne sont qu’en partie exactes. La vérité est que chaque groupe d’animaux possède un ou deux sens beaucoup plus développés et plus délicats que les autres ; chez les oiseaux, la vue est très parfaite, chez les insectes, c’est l’odorat qui paraît acquérir le plus de délicatesse ; chez les poissons, l’ouïe paraît être plus développée que la vue ; chez les chiens, c’est l’odorat, etc. ; chez l’homme, tous les sens ont un développement à peu près égal, ou, du moins, aucun n’acquiert une très grande prépondérance sur les autres. Il faut ajouter que l’éducation est une cause puissante de perfectionnement des sens. Il est facile, par exemple, de faire prendre chez l’homme un développement très considérable à un sens tandis qu’on atrophie les autres. La nature des besoins et les conditions auxquelles leur satisfaction est soumise jouent également un rôle considérable dans l’évolution ascendante ou descendante des sens. Un aveugle acquiert rapidement une délicatesse de toucher infiniment supérieure à celle qu’on constate chez les hommes dont la vue est bien développée.