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que font les pauvres pères de famille qui envoient leurs enfants au collège pour ne rien apprendre pendant huit ans, et qui, eux, n’ont pas 60,000 à 80,000 louis de rente pour réparer la perte inutile qu’ils ont faite.

J’admire cette façon de toujours se représenter soi-même dans des organes attitrés comme un holocauste intarissable, comme une fontaine d’abnégation. Il me semble que c’est bien le moins qu’on fasse quelque chose pour un peuple qui se prosterne à deux genoux devant soi, et qui se livre corps et biens quand on le veut.

Il y a aujourd’hui toute espèce de façons d’être libéral ! mais il parait que la plus en vogue est celle d’être libéral en niant le libéralisme. C’est cette façon qu’ont adoptée l’Ordre et le Franco-Canadien. Pourtant, je dois dire que l’Ordre n’a plus de façon du tout, puisqu’il vient de répudier l’appellation elle-même de libéral. Personne ne s’imagine que cela va le changer ; mais enfin, il avait toujours le nom, s’il n’avait pas la chose. C’est à ce nom qu’on faisait la guerre, ce qui prouve bien qu’on était incapable de la faire aux idées.

Mais voyez quelle attraction il y a dans ce mot libéral ! Comme il indique bien de suite les instincts, les penchants secrets de l’humanité ! Les torys eux-mêmes, désespérés du nom qu’ils portent, ont imaginé d’y ajouter aussi eux celui de libéral, et ils ont fait libéral-conservateur.

Cela me rappelle un petit spectacle qui se passait à Paris dernièrement. Un charlatan criait aux passants sur la place publique : « Entrez, mesdames, entrez, messieurs, venez voir la chose la plus merveilleuse, la plus étonnante, la plus incroyable, venez voir ce prodige nouveau, unique, oui, unique, messieurs, mesdames, le produit d’une carpe et d’un lapin. »

Et les vieilles femmes, les badauds et les niais d’entrer. Une fois entrés, on leur faisait voir une taupe.

Voilà ce que c’est qu’un libéral-conservateur. Ça ne voit pas clair. Produit chimérique de deux choses impossibles à accoupler, il ne manque cependant pas de badauds et de niais pour croire en lui et pour chercher à le voir.

Il n’y a dans tout le Bas-Canada que deux journaux logiques, le Nouveau-Monde et le Pays. Entre eux, pas de discussions possibles sur la portée et le sens du mot libéralisme. C’est entendu. Mais avec l’Ordre il a fallu discuter trois mois pour s’entendre, et faute de pouvoir s’entendre, on a supprimé le sujet de la discussion. Cela donne à croire que si, un jour, les États-Unis et l’Angleterre se querellent pour la possession du Canada, et qu’ils ne puissent s’entendre, le plus court pour eux sera de le prendre et de le jeter dans la lune.

On a pu se convaincre que les Fénians n’étaient pas très-redouta-