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CORRESPONDANCE


Québec, 1er déc. 1868.


Cher monsieur,

L’autre jour, j’entrais dans le magasin d’un de vos dépositaires pour me procurer un numéro de la Lanterne. Je fus bien étonné quand le propriétaire (un protestant) m’apprit qu’un prêtre l’avait visité dernièrement, ayant en vue la suppression de votre lumineux petit journal. Les arguments de ce digne père furent des remontrances fortes, suivies de l’expression de sa surprise de ce que les vitres du magasin n’avaient pas été cassées. Quelle effronterie !

Monsieur, imaginez donc un ministre protestant se présentant chez un libraire catholique, et lui demandant d’arrêter la vente de certains livres écrits contre l’église protestante ! Quel bruit ne feraient pas les organes du clergé romain ! avec quelle indignation parleraient-ils de la suppression de la liberté religieuse ! (une chose, entre parenthèses, qu’ils ne connaissent pas.)

C’est ainsi, monsieur, que la plupart des prêtres essaient de priver les catholiques (et même les protestants) de la liberté de conscience, un des meilleurs biens que Dieu nous ait donnés. Il y a beaucoup de gens ici qui cherchent la raison de la haine que les prêtres portent à votre Lanterne ; mais c’est facile à dire. Sa lumière est forte, et ils aiment mieux les ténèbres, parce que leurs œuvres sont mauvaises.

Qu’elle réussisse à dissiper ces ténèbres, tel est le désir

D’un de vos lecteurs.

Je suis homme à ne plus m’évouvoir de quoi que ce soit. Mais une chose m’aurait étonné, c’est que le clergé, ayant droit de tout faire dans ce pays, n’abusât point de ce droit, et ne se mit au-dessus des mœurs, des lois et des libertés individuelles.

C’eût été là un clergé trop vertueux pour notre époque où la religion n’est plus qu’un trafic et une farce.

Mais les prêtres canadiens ayant abusé largement de l’autocratie qu’on leur abandonne, je ne vois dans le fait mentionné par mon correspondant qu’un de ces épisodes vulgaires comme il y en a des centaines par jour.

Une seule réflexion m’est venue. Ce prêtre, que j’adore, se sera dit sans doute, en voyant la compagnie du gaz refuser depuis un mois d’éclairer la ville de Québec, qu’il était convenable que l’état intellectuel de la ville fût en harmonie avec son état matériel, et voilà pourquoi il a voulu supprimer la Lanterne chez mon dépositaire, ignorant sans doute que pour supprimer la Lanterne, il faudrait en supprimer l’autour.