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— Pourriez-vous me dire, monsieur Brougham, comment il se fait que, chaque fois que l’on sert une oie à table, on la met toujours à côté d’un ecclésiastique ?

— Par ma foi ! s’écria M. Brouhiam avec le plus grand flegme, je n’y avais jamais réfléchi ; je trouve votre remarque si curieuse que je ne pourrai jamais voir à l’avenir une oie sans penser à Votre Seigneurie !


VARIÉTÉS


LAHONTAN ET LE CANADA


« Les jésuites se sont dépêchés de faire dire par leur professeur le rhétoricien Charlevoix, que Lahontan n’est pas un voyageur, que son voyage est une fiction, qu’on a écrit pour lui, etc. Ils l’ont dit, non prouvé. Tout indique que réellement il habita l’Amérique, de 1683 à 1692. Peu importe d’ailleurs. Tout ce qu’il dit est confirmé par d’autres relations. Ce qui lui appartient, c’est moins la nouveauté des faits que le génie avec lequel il les présente, sa vivacité véridique (on la sent à chaque ligne). Il a un accent vigoureux d’homme et de montagnard. Gentilhomme basque ou béarnais, ruiné par une entreprise patriotique de son père qui eût voulu régler l’Adour pour exploiter les bois des Pyrénées, Lahontan courut l’Amérique, n’obtint pas justice à Versailles et passa en Danemark. Il a imprimé en Hollande en toute liberté.

« Il expose, raconte, conclut rarement.

« Deux choses éclatent par son livre, l’accord des voyageurs laïques — la discordance des missionnaires.

« L’accord des premiers est parfait. Les seules différences qu’on trouve chez eux, c’est que les premiers, Cartier, Champlain, parlent surtout des tribus acadiennes, algonquines, etc., demi-agricoles, de mœurs fort relâchées, et les autres des Iroquois, confédération héroïque et quasi Spartiate qui dominait ou menaçait les autres.

« Quant aux missionnaires, ils composaient deux grandes familles rivales : 1o. les Récollets, pieds nus de Saint-François, qui avaient plus de cinq cents couvents dans le Nouveau-Monde, moines agréables aux sauvages pour leurs pieds nus ; 2o. les Jésuites, plus décents et plus politiques, prudents, ne vivant qu’avec leurs élèves convertis, les jeunes sauvages.

« Les Récollets disaient que les Indiens étaient des brutes, infiniment difficiles à instruire. Ils ne parlaient, dans leurs relations, que des tribus avilies, dégradées, faisaient croire que la promiscuité était la loi de l’Amérique. Les Jésuites rabaissaient moins les sauvages, les déclaraient intelligents, prétendaient en tirer parti. Ils différaient sur deux points, d’abord sur la religion des Indiens, qu’ils donnaient pour le culte du diable, puis sur les conversions ; ils soutenaient en