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Or donc, les Chinois jettent invariablement aux pourceaux les enfants qui leur viennent, ce qui n’empêche pas la population d’être si nombreuse, et d’augmenter tellement, qu’elle est condamnée à des disettes périodiques qui amènent de terribles convulsions dans l’empire céleste.

Il semblerait que dans ces crises redoutables, la première idée des Chinois serait de manger eux-mêmes leurs enfants, comme l’ont fait récemment les Arabes.

Vous reculez d’horreur, lecteurs pusillanimes ! Eh quoi ! est-il donc plus horrible de manger ses enfants soi-même, lorsque la faim hurle dans le ventre, que de les jeter à des cochons par passe-temps ?

On croirait encore que les Chinois, poussés par la famine, se rueraient comme des enragés sur leurs pourceaux et les dévoreraient à belles dents.

Mais, plus de cochons, plus d’enfants à faire croquer. Or, les Chinois sont si frians du spectacle de leurs petits éventrés sous leurs yeux par des porcs, qu’ils oublient, pour en jouir, leurs souffrances et la faim elle-même, d’habitude mauvaise conseillère.

La Sainte-Enfance est encore une de ces divines exploitations spécialement adaptées au Canada. En Europe, quand le pape veut avoir des enfants, il prend ceux des Juifs, comme le petit Mortara ; ça lui épargne la peine d’en envoyer chercher en Chine.

C’est égal, lorsque j’entendis pour la première fois le supérieur du Collège de Sainte-Anne, où je fis mes cinq premières années d’ignorance, et où, en fait d’histoire, j’apprenais que les baleines avalaient des hommes et les rejetaient trois jours après sur le rivage pleins de vie, et que d’autres hommes arrêtaient le soleil, lorsque j’entendis ce supérieur qui, conjointement avec tous ses collègues du Canada, fait tant de sacrifices pour imbéciliser les élèves, nous apprendre, pour la première fois qu’il fallait racheter au Christ les enfants des Chinois exposés aux pourceaux par leurs pères, je restai pétrifié d’étonnement.

On m’avait bien laissé lire au collège quelques pages de Robinson Crusoë, où j’avais vu que les Caraïbes, les plus féroces des hommes, mangeaient leurs ennemis, mais adoraient leurs enfants, (c’est un sentiment du reste naturel aux tigres eux-mêmes) mais voilà que tout à coup on nous apprenait que les Chinois, réputés jusqu’alors le plus ancien peuple civilisé de la terre, en étaient venus subitement, sans transition, peut-être par lassitude des jouissances ordinaires, à se repaître d’un régal de leurs enfants par des pourceaux.

« Oh ! ne raisonnez pas, ne raisonnez jamais, » me disait alors mon confesseur, qui est aujourd’hui directeur de la ferme-modèle de Sainte-