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voyage m’a fait remettre à ce jour à vous signaler cet oubli capital. Je laisse à votre plume habile le soin de décrire, comme il convient, le fait que je vous signale simplement.

Quelque temps avant le départ de Sa Grandeur, nos vertueuses Canadiennes ont reçu l’ordre suivant : « À l’avenir, et sous peine de damnation, il est ordonné à nos chères filles en Jésus-Christ d’imiter les dames romaines, et de ne se présenter dans le temple du Seigneur qu’avec un voile. » Heureusement que l’imitation n’a rapport qu’à l’habillement, et nullement aux mœurs. J’aurais cru d’abord que la plus belle moitié du genre humain se révolterait contre cette loi. Mais non, le dimanche suivant, j’ai vu, de mes deux yeux vu, plusieurs échantillons de cette nouvelle toilette couvrir les charmes des obéissantes ouailles. Il est vrai que celles qui les portaient n’avaient à cacher que des visages flétris, des formes disparues. Mais au printemps il faudra se soumettre : d’ici-là, il y a une excuse majeure pour se soustraire à la loi, c’est qu’il n’existe pas à Montréal de voiles à la Romaine. Ce 8e commandement de l’Église aurait pu être promulgué au commencement de l’hiver, mais Merrill et Morrison auraient eu le temps de faire des commandes et seraient devenus de puissants concurrent ; Mgr l’avait bien compris. Ah ! c’est ici qu’il faut s’incliner devant son génie spéculateur. Aussi a-t-il retardé jusqu’au dernier moment pour avoir lui seul toutes les commandes, et il est parti avec des ordres d’acheter 25,000 voiles No 1 et 125,000 (chiffres officiels) voiles No 2. Mais attendu que l’intégrité de Sa Grandeur n’est pas à l’abri de toute attaque, Elle a fait fixer le prix de ces voiles à $2.50 pour les No 1, et $1.75 pour les No 2. Or, comme en fabrique, ils ne coûtent en gros que $1.50 et 0.75 respectivement, Mgr se trouve à réaliser, déduction faite des frais et droits, un bénéfice net de $100,000.

N’est-ce pas ingénieux, superbe ? Ô génie ! Buies, incline-toi. — (Je m’incline).

Le décret ci-dessus promulgué, on a recommandé, de par Mgr aux fidèles de l’un et de l’autre sexe, de chanter à haute voix le Ky.. Ky.. Ky.. Kyrie, et autres chants.

On attend l’arrivée des voiles pour établir un autre usage, et, ou je me trompe fort ou vous irez à la messe, M. Buies, tout sceptique que vous soyez. Les fidèles des deux sexes se donneront le baiser de paix ; l’efficacité du baiser n’ayant lieu que lorsque les peaux se touchent à nu, à un moment donné les voiles se lèveront, puis se rabattront immédiatement pour cacher les rougeurs des filles trop impressionnables ; mais elles s’habitueront avec le temps à ces saints baisers, qui finiront par ne plus leur causer la moindre sensation. Ce sera un charme de plus d’enlevé aux amoureux, mais aussi une occasion de moins de pécher. Ainsi soit-il.

Un lecteur de la Lanterne.