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avant tout que l’esprit obéisse et croie aveuglément. On ne s’occupe pas de savoir si la vérité est en dehors de ce qu’on enseigne ; à quoi servirait la vérité qui renverserait tout cet échafaudage dogmatique ? Il faut la détruire, et, pour cela, on s’armera des armes de la théocratie ; on la déclarera hérétique, impie, absurde. Si l’évidence proteste, la théocratie protestera contre l’évidence. Pas un philosophe, pas un historien, pas un savant qui ne soit condamné s’il cherche dans les événements d’autres lois que celles de la religion, s’il interroge toutes les sources pour découvrir les véritables causes et s’il explique les révolutions et les progrès de l’esprit par d’autres raisons que l’impiété. Si la pensée s’exerçait, évidemment elle trouverait des aspects nouveaux, elle ferait des comparaisons, elle rattacherait toutes les parties de chaque sujet ; et de l’ensemble de ses recherches naîtrait la vérité : il faut lui dire que tout ce qu’elle découvrira est mensonge, iniquité, blasphème ; il faut lui dire que la raison ne peut mener qu’à l’erreur, et que la science ne peut exister sans la foi. Et la jeunesse, formée dès longtemps à la sainteté de la religion, apportant ses maximes dans tout ce qui existe, repoussera comme une tentative impie toute recherche de la vérité qui ne sera pas appuyée sur elle.

« Et c’est ainsi qu’en ne montrant qu’un seul côté des choses, on parvient à rétrécir et à fausser l’intelligence. Ce qu’on veut, c’est fonder un système qui enveloppe l’esprit dans des maximes infranchissables et qui ne serve qu’à un objet, son propre maintien : de cette manière on gouvernera la société et l’on fera des élèves autant d’instruments dévoués à ce principe. Qu’importe que ce système soit faux et absurde ! « Ne sommes-nous pas les ministres de la religion ? N’avons-nous pas la direction absolue de l’esprit ? Pouvons-nous nous tromper, nous qui parlons au nom de la vérité éternelle ? Ce système n’est-il pas le nôtre ? Devons-nous permettre qu’on l’examine, et l’esprit affranchi serait-il aussi propre à l’obéissance ? »

« Ah ! vous voulez garder l’empire de l’intelligence ; vous voulez être les seuls dépositaires de l’éducation ; voyons vos produits. Vous voulez enseigner, et toutes les grandes œuvres de l’esprit humain, vous les répudiez, vous les flétrissez, vous leur dites anathème. Vous voulez former des citoyens ! Et quel est l’homme, possédant quelques idées vraies de société, d’état, de liberté politique, qui ne les ait pas cherchées en dehors des idées et des études que vous lui imposiez ? Et cependant, tous les grands noms, vous les avez sans cesse à la bouche : religion, vertu, nationalité !

« La religion ! vous en faites un moyen, vous l’abaissez dans les intrigues de secte et de parti. La vertu ! vous la mettez uniquement dans l’asservissement à votre volonté. Osez nier ceci ; je suis, moi, un homme honnête, consciencieux, probe ; je crois à Dieu et aux sublimes enseignements du christianisme ; mais je ne veux pas de votre usurpation de ma conscience, je veux croire au Christ, et non à vous ; je veux chercher la vérité que Dieu lui-même a déclaré difficile à trouver ; mais je ne veux pas que vous, vous l’ayez trouvée tout