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ARTICLE POSTHUME


Après l’apparition du numéro 27 de la Lanterne, qui se trouve n’être que le 23e dans l’ordre que nous avons suivi pour ce livre, elle s’éteignit subitement, en pleine lumière, au plus fort de l’incandescence, sans qu’aucune cause apparente pût fournir une explication de ce terrible phénomène, de cet effrayant cataclysme. Assurément ce n’était pas un miracle. Nous n’oserions chercher si haut l’explication d’une si lamentable catastrophe. Allumée par des mains humaines, la Lanterne ne pouvait être étouffée que par des mains humaines ; mais ce n’étaient plus les mêmes. Depuis plusieurs semaines, l’auteur luttait péniblement, isolément, non seulement contre les ennemis naturels et déclarés de son pamphlet, contre la propagande ouverte ou sourde, contre les moyens déguisés ou non, avoués ou secrets qu’on mettait en œuvre pour l’abattre, contre une hostilité formidable, formée d’éléments divers, toujours active et acharnée et bien au-dessus des forces d’un seul homme, mais encore, et ce qui était bien plus douloureux et plus dangereux pour lui que tout le reste, contre l’effroi qu’on était parvenu à répandre jusque dans l’esprit de ses meilleurs amis, de ses plus fermes soutiens. L’un après l’autre, les dépôts où la Lanterne se vendait lui avaient fermé leurs portes. Il n’en restait plus que deux ou trois dans la ville, et les acheteurs habituels n’osaient même plus la demander : ceux qui tenaient encore quand même à la lire l’envoyaient chercher par des commissionnaires inconnus. Proscrite, signalée partout à l’exécration des fidèles, elle ne pénétrait plus dans aucun foyer. On la lisait secrètement et on se hâtait de la détruire, après l’avoir lue ; c’est pour cela qu’il n’en était resté que très-peu d’exemplaires conservés religieusement par des partisans ou des adeptes sans peur et sans reproche.

Dans des conditions pareilles, il était devenu impossible pour l’auteur d’en continuer la publication, et il parut l’avoir abandonnée subitement, quand déjà, depuis plusieurs semaines, ce dénouement était devenu inévitable, quoiqu’il ne le laissât pas deviner. Le dégoût et un amer découragement s’étaient emparé de lui. Il reconnaissait avoir dépassé la mesure dans certaines occasions, mais qu’était-ce en comparaison des attaques et de la persécution odieuse dont les vrais libéraux étaient alors les victimes ? Ils avaient vu leur Institut condamné, excommunié, obligé de fermer ses portes, et la seule bibliothèque à peu près publique de Montréal mise au ban de l’opinion. Ils s’étaient vus poursuivis jusque dans leurs familles, dans la paix de leurs foyers,