Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/38

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« Une forte pression est exercée sur la Lanterne, journal satirique français, afin de l’étouffer le plus tôt possible. Sa lumière est trop vive pour plaire à certaines autorités ecclésiastiques qui désirent la supprimer. Quelques douze cents exemplaires de la Lanterne circulent chaque semaine parmi les canadiens-français. »

Un autre, prenant l’Événement, me met sous le nez cette nouvelle à sensation.

« Les autorités ecclésiastiques demandent la suppression de la Lanterne. »

Jugez du choc. Je reste ébahi. Mes amis s’empressent autour de moi, me contemplent et restent suspendus à la première parole qui va sortir de ma bouche ; car il était évident que j’étais illustre, illustre sans avoir été ni brûlé ni pendu.

Quels progrès depuis deux cents ans ! Aujourd’hui on peut être illustre en dehors de l’église, et vivre !

C’est même tout le contraire de ce que c’était au bienheureux temps des bûchers et des auto-da-fé.

Nous sommes dans une honteuse décadence. Je publie un journal abominable, on s’empresse autour de moi, on me félicite, tandis que l’évêque de Saint-Hyacinthe, le jour même qu’il est proclamé illustrissime est obligé de quitter son siège épiscopal.

Il se sera dit sans doute « que sert à l’homme de gagner ses procès s’il vient à perdre son âme ? »

Il a préféré ne pas les gagner, se sauver corps et âme à Belœil, laissant derrière lui ses nombreuses créances contre la famille Dessaulles, et vivre dans une retraite modeste, de l’avis de son confrère, l’évêque de Montréal, qui a 40,000 dollars de revenus.

Je vis dans Québec une chose qui vaut mieux que tous les embellissements de Montréal.

L’ancienne prison, qui était au centre de la ville, est convertie en un collège. Ce collège s’appelle le collège Morrin, du nom de son bienfaiteur, le Dr. Morrin, un Anglais mort il y a quelques années, en léguant huit mille dollars pour fonder une maison d’éducation.

J’ai visité dans tous ses coins et recoins ce nouveau collège éclos des cellules et des cachots. Aucun édifice, grâce aux transformations qui ont été faites, n’est plus complet, mieux distribué, plus propre à faire un collège. Il y a salles d’exercices, chambres de bains, gymnase, classes spéciales de chimie, de métallurgie, de géologie…, etc., de spacieux corridors où l’air joue en liberté, des appartements qu’éclaire une lumière prodigue et joyeuse. Tout cela est frais et jeune ; et cependant c’est avec les murs décrépits d’une vieille prison, avec ses planchers chancelants, avec ses cachots humides et ses plafonds vermoulus que tout cela a été fait.

Il m’est venu une réflexion amère. Nos prisons sont trop petites pour le nombre des détenus. Elles ne le seraient pas trop peut-être, converties en collèges, pour le nombre des élèves.