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LA LANTERNE


No 5





Un mal avisé demandait l’autre jour à une excellente dame si elle lisait la Lanterne.

 « Moi ! lire la Lanterne ! s’écria-t-elle, j’aurais peur de tomber foudroyée. »

Je raisonne comme suit. Si vous, madame, vous tombez foudroyée, rien qu’à lire la Lanterne, c’est bien le moins que moi, qui la compose, je sois pulvérisé, réduit en charpie.

Eh bien ! c’est depuis cinq semaines précisément que ma santé redouble de vigueur. Je menace de devenir formidable.

Autre raisonnement. De tous ceux qui me lisent, et il y en a 1200 par semaine, sans compter ceux qui lisent la Lanterne sans l’acheter, il n’en est aucun qui soit tombé d’apoplexie foudroyante.

Si je n’avais qu’une dizaine de lecteurs, on aurait bien trouvé le moyen de faire quelque petit miracle. Mais allez donc démolir 1200 individus par semaine, pour prouver que Dieu est avec vous.

Cette manie d’empêcher de lire de braves femmes, afin qu’elles gardent tout leur argent pour acheter des scapulaires et des images, me remet en mémoire la petite anecdote qui suit :

Une jeune fille des environs de Montréal voulait avoir quelque chose à lire, ce qui est rare ; elle va trouver une personne de l’endroit qui lui prête le Journal des Familles. Le curé en a vent, fait mander la jeune fille, prend son livre, et, deux ou trois jours après, lui ordonne de le rendre à son propriétaire, ce qu’elle fait incontinent. Étonné, celui-ci lui demande si elle a déjà lu tout ce gros volume : « Non, répond-elle, mais le curé m’a ordonné de vous le remettre en me disant que tous les livres étaient mauvais.