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L’Angleterre a pris exemple des États-Unis, et elle a plus fait pour s’assimiler leurs institutions depuis cinq ans qu’elle n’avait fait de progrès constitutionnels dans les cinquante années précédentes.

C’est qu’aux États-Unis la liberté est une science. La république n’y est pas un système de gouvernement, mais un axiôme, dont toutes les conséquences se déduisent d’elles-mêmes, que l’on applique au fur et à mesure, et qui font l’école du monde.

Qu’était à côté de la liberté américaine la liberté antique ? C’était une marâtre pleine d’égoïsme et de tyrannie. Elle ne dépassait pas les murs de la ville natale, et tel grand homme qui se perçait le sein plutôt que de voir sa patrie asservie, traînait derrière lui des milliers d’esclaves. Cette liberté s’accommodait du despotisme, comme on le vit bien dans la Venise républicaine, sous le Conseil des Dix.

Elle admettait l’oligarchie et l’odieuse distinction des rangs qui nourrit toujours l’injustice ; elle regorgeait de privilégiés. Monstre décoré d’un beau nom, on lui vouait un culte qui étouffait dans le cœur tous les sentiments du juste et du vrai. C’était enfin une courtisane impérieuse dont il fallait caresser les violences, et non pas cette vierge sévère qui, aux États-Unis, convie tous les hommes à l’amour du droit commun, à la recherche de l’égalité, à l’exercice plein et facile des droits de l’individu qui sont le fondement même de la constitution américaine.

« Nommez-nous, continue la Minerve, les républiques qui ont vécu le quart de l’espace de temps qu’a duré la monarchie anglaise, ou même la monarchie espagnole, que l’on croit morte aujourd’hui, mais qui renaîtra sous peu. Combien de temps la république a-t-elle vécu à la place de cette longue et glorieuse monarchie française ? Si le sentiment républicain était si fort, il nous semble que le peuple, tour-à-tour maître de l’Angleterre, de la France, de l’Espagne, eût pu s’y installer à son aise. »

Je nommerai la République Romaine qui a duré cinq cents ans sans interruption, celle de la Suisse qui date de 1389, celle des États-Unis qui remonte réellement à trois cents ans ; j’en nommerai partout enfin où il y a eu des peuples éclairés.

N’est pas libre qui veut, mais qui est digne de l’être.

En Asie, les monarchies se perdent dans la nuit des temps, parce que les hommes n’y furent jamais que des troupeaux d’esclaves.

Qui ne voit que le despotisme ne pourrait subsister, s’il n’éblouissait et s’il n’étreignait les peuples ? Ce respect superstitieux qu’il grave dans les imaginations les rend comme inertes et comme fascinées. Du jour où l’on raisonna le pouvoir en France, on fut effrayé à la vue des abîmes qu’il avait creusés tout autour de lui pour rester seul debout. C’était un monstre, engraissé de l’ignorance de douze siècles, qui apparaissait soudain dans toute son énormité, qui fit voir par là ce qui l’avait toujours soutenu et ce qu’il fallait d’efforts pour l’abattre. Aussi, pour donner la liberté au peuple français, fallut-il le plonger dans des flots de sang

C’est à cela qu’avait abouti cette longue et glorieuse monarchie.