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refusait à ses hommes leurs gages sous le plus futile prétexte, et sa bourse, jusqu’au fond, était largement ouverte à tous. Y puisait qui voulait. Il ne craignait rien sous le soleil et il était redouté de tous. Un jour, cependant, il se fit donner par un canadien qu’il venait d’insulter une de ces râclées énormes dont on se souvient toujours tant que l’on conserve ses membres et ses muscles. Le lendemain, il fit venir à son bureau celui qui l’avait moulu et aplati : « Tiens, lui dit-il, voilà deux cents dollars, mais va-t’en d’ici ; tu ne peux rester plus longtemps avec moi. Il ne faut pas que personne puisse battre Peter McLeod.

« Je ne m’en irai pas, dit l’homme. Je ne quitterai jamais Peter McLeod. »

Peter garda l’homme, et l’homme garda les deux cents dollars.

Une chose que Peter McLeod ne pouvait souffrir, c’était qu’on maltraitât le faible ; mais c’était plutôt par un sentiment altier de la force que par générosité. Il y avait vingt natures en lui ; il tenait du conquérant barbare, du sultan, de l’écossais et de l’indien. Conquérant, il était fait pour l’être. À défaut d’empire, il promenait sa domination sur deux à trois cents têtes docilement pliées sous sa main de fer. Sultan, il avait l’indolence hautaine des maîtres de l’Orient, il méprisait autant les hommes qu’il apportait de fureur dans la recherche de tous les plaisirs et qu’il plongeait avec une ardeur fauve dans les jouissances qu’il aimait