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Non ; au point où en sont aujourd’hui les choses, toute l’influence et toute l’opposition du Grand Tronc ne feraient rien, et l’évidence de sa maladresse le contraindrait peut-être le premier à la reconnaître. En travaillant contre le chemin de fer du nord, le Grand-Tronc travaillerait contre ses propres intérêts. Jamais deux lignes de chemin de fer nécessaires ne se sont nui réciproquement ; au contraire elles sont utiles l’une à l’autre. En 1870, pendant que les canaux du Saint Laurent ne recevaient que 15 p. c. du commerce de l’ouest, le canal Érié, passant à travers l’état de New-York, en recevait 85 p. c. Et cependant, de chaque côté du canal Érié, il y a une ligne de chemin de fer. Voulez-vous savoir quels sont les chemins de fer qui réalisent les plus beaux bénéfices aux États-Unis ? ce sont précisément les deux chemins suivant chacun une rive du canal Érié. Là où la production est égale aux moyens de transport ou les dépasse, toute nouvelle ligne qui s’établit ne peut que prendre le surplus du commerce, et, en contribuant à le développer et à le stimuler, réagit sur les anciennes lignes qui profitent de cette augmentation.

Du reste, les actionnaires du Grand Tronc en doivent être convaincus. Ils savent fort bien que leur chemin de fer a plus de fret aujourd’hui qu’il n’en peut transporter, que, par conséquent, l’établissement d’une nouvelle ligne, loin de lui nuire, ne ferait que satisfaire un besoin qu’il est, lui, dans l’impossibilité de satisfaire, et que, d’ailleurs, il y a, sur le côté nord du St. Laurent, toute une région à peu près inexploitée, dont les produits, ne pouvant être transportés par le côté sud, ont absolument besoin d’une ligne sur leur propre terrain.

V.

Cela étant établi, gardons-nous soigneusement de prêter l’oreille à toutes ces rumeurs, à tous ces rapports venus de sources toujours impossibles à tracer, qui fuient invariablement devant le point d’interrogation clair et net.

M. McGreevy n’était pas plus tôt arrivé en Europe depuis deux ou trois jours que déjà les nouvellistes faisaient connaître qu’il n’avait reçu que des échecs de tous côtés et qu’il allait revenir à sa courte honte. Où ces messieurs puisaient-ils tant de science ? on se le demande ; à coup sûr, ils ne sont pas inspirés, et l’Esprit Saint, dans les temps de crise, ne se confie pas à tout le monde. La meilleure réponse à faire à tous ces mauvais contes, c’est que nous n’avons plus à nous occuper des moyens ni des instruments, qu’il s’agit pour nous de vivre ou de mourir, et que, si nous voulons vivre, il faut de suite, énergiquement, immédiatement, rejeter toutes les causes de mal, il faut nous défaire de l’envie et de l’animosité personnelle qui ont toujours fait à Québec plus de mal que tous les chemins de fer au monde ne pourraient lui faire de bien.

Comment ! messieurs, nous habitons la capitale de la plus ancienne et de la plus riche province du Dominion, et c’est précisément cette capitale qui a, de toutes les villes, le moins de communications avec l’extérieur ! Montréal, Ottawa, Trois-Rivières et Québec sont situés sur la rive nord de deux fleuves qui, pour ainsi dire, n’en font qu’un, et c’est précisément cette rive qui n’a pas de chemins de fer ! Entre la capitale du Dominion et la capitale de la province il n’y a pas de communication directe ; cette chose inconcevable, inexplicable, nous la voyons tous les jours, nous en gémissons, et depuis vingt ans, toutes les fois qu’il s’est agi d’y porter remède, qu’est-ce donc qui en a empêché ? qu’est-ce qui empêche d’avancer d’un pas ? Ah ! c’est que pour toutes les entreprises publiques on se divise par coteries ; ce n’est plus l’affaire de tout le monde, c’est l’affaire de tel ou tel qui a ses partisans ; un entrepreneur devient un simple candidat. Si Québec était privé de pain, et que deux boulangers fussent sur les rangs pour savoir à qui lui en fournirait, de suite ils diviseraient la ville en deux et tout le monde mourrait de faim plutôt qu’une moitié cède à l’autre.

Nous n’avons pas d’esprit public, cet esprit qui fait céder l’intérêt personnel au bien général, le bien général auquel tout le monde participe.

On croit qu’on n’a rien à gagner personnellement à voir une ville en bon état, prospère, avec de larges rues, toutes les