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entendre prêcher du haut des chaires le fanatisme, la malédiction, et la haine contre tout ce qui n’est pas propre à asservir l’intelligence, et contre tout ce qui veut affranchir le christianisme de l’exploitation d’un ordre ambitieux. Venez voir comme on endoctrine la jeunesse au moyen de pratiques étroites et tyranniques : voyez toutes ces institutions, toutes ces associations, vaste fil invisible avec lequel on lie toutes les consciences, vaste réseau organisé pour tenir dans ses mains la pensée et la volonté de tous les hommes. Le clergé est partout, il préside tout, et l’on ne peut penser et vouloir que ce qu’il permettra. Il y a une institution libre et généreuse qu’il a voulu dominer de la même manière ; et quand il a vu qu’elle ne voulait pas se laisser dominer, il l’a maudite. Tant il est vrai que ce n’est pas le triomphe de la religion qu’il cherche, mais celui de sa domination.

« Je vous disais tantôt que souvent les penseurs libres ne pouvaient trouver de refuge dans le sein même de leurs familles : en voici la preuve. Les jésuites qui sont devenus les véritables maîtres des familles ont rempli les villes d’institutions qui sont comme autant de succursales de leur ordre, qui étendent leur influence, et la ramifient dans toutes les parties de la société. « Plus nous multiplierons les pratiques religieuses, disent-ils, plus nous paraîtrons servir la religion. La religion étant une chose éternellement sainte, et rien ne servant à l’homme s’il vient à perdre son âme, il est évident que nous ne devons pas laisser à l’esprit le temps de penser à autre chose ; il faut accaparer toutes ses facultés, et posséder le cœur de la jeunesse pour sauver son âme, qui, sans nous, irait à la damnation éternelle. Comme un bon chrétien doit penser sans cesse à son salut, il n’y aura jamais trop de confréries pour lui rappeler ce grand objet. Plus on suivra les pratiques religieuses, plus on s’attachera à nous qui les dirigeons ; et plus on s’attachera à nous, plus nous pourrons fonder de confréries. Les cœurs les plus faciles à manier sont ceux des femmes ; avec elles, nous entrons de plain-pied dans la société, nous pénétrons dans les familles ; avec elles pour appui, nous gouvernons ces familles, et ce sera là le premier et le plus grand pas fait pour parvenir à gouverner l’état. Faisons donc des confréries, répandons-les indéfiniment, attirons-y toutes les jeunes filles ; sachons les captiver surtout par la douceur des moyens et le charme des manières, de sorte que de tout le clergé elles n’aiment et ne veulent entendre que nous. Avec l’empire des femmes, nous aurons vite celui des hommes qui n’est que l’empire des premières, et ainsi nous aurons sauvé la religion. Mais avant tout, ayons l’air constamment humbles, modestes, tenons les mains jointes, les yeux sans cesse tournés vers le ciel, et comme ne faisant tout que pour la plus grande gloire de Dieu. L’apparence de la religion séduit bien plus le vulgaire