Page:Buies - Lettres sur le Canada, étude sociale, vol 2, 1867.djvu/15

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intellectuelles, s’ingénie surtout à prêcher la soumission, à abêtir, aveugler, la jeunesse, à lui inspirer la haine de tous les progrès en lui disant sans cesse que l’humanité est en décadence, parce qu’elle s’affranchit sous toutes les formes, et commence à connaître et à glorifier la puissance de la raison.

Voyez-moi ces rhétoriciens à moitié enfroqués qui sortent de ces pieux colléges. Quels sots prétentieux, quels ignorants intrépides ! Et pourquoi pas, intrépides ? Ne sont-ils pas nourris à l’école de l’absolutisme ? ne sont-ils pas certains de la vérité que tous les grands esprits cherchent depuis si longtemps, et qui ne leur coûte, à eux, d’autres efforts que cinq ou six mea culpa par jour, et beaucoup de génuflexions ? Aussi, ne raisonnez pas avec ces produits-là ; il faut croire ou nier ; croire, sans savoir pourquoi ; nier, sans raison.

Et toutefois on se sent pris de pitié ; on se dit : « Voilà cependant un être qui serait intelligent s’il n’avait pas été abruti dès l’enfance par les momeries de culte extérieur qui sont comme la grimace de la religion. Qu’est-ce en effet que toute l’éducation des colléges cléricaux ? Un apprentissage à la soutane. On n’y a jamais fait et on n’y fera jamais des hommes. On y habitue les jeunes gens à la pratique de servilités et de gestes ridicules qui de plus en plus leur rapetissent l’esprit ; on y passe les trois-quarts de la vie à genoux, dans l’adoration de l’autorité ; on y a le cerveau farci de cet amas de principes sans nom ni sens que la théocratie a entassés à son usage. On y enseigne à détester toute liberté de l’esprit, à traiter d’incrédules ceux qui raisonnent, et d’impies ceux qui veulent d’autres bases à leurs croyances que des conventions. Au lieu de vous éclairer, on vous anathématisera, si votre esprit ne peut se payer de subtilités scolastiques  ; et lorsqu’on a ainsi dépravé et faussé l’intelligence, on vous lance un jeune homme dans le monde, bouffi de préjugés, croyant avoir tout appris de ses maîtres, se trompant sur tout sans en convenir, déraisonnant d’une façon monstrueuse tout en citant des syllogismes entiers de Port-Royal, fermant son esprit au sens commun, et vous traitant enfin de blasphémateur, lorsqu’il est à bout de citations, ou lorsque votre raison l’a convaincu de son ignorance.

Suivez-le maintenant dans ce monde qu’il ne connaît pas, ou dont on lui a donné les plus absurdes idées. N’ayant d’autre avenir que deux ou trois carrières, les seules que lui permette d’embrasser le genre d’éducation qu’il a reçu, il lui faut lutter contre les difficultés d’un long et pénible début, souvent contre sa propre incapacité, plus souvent encore contre l’encombrement qui envahit les professions. Ce que je dis ici de