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II

Mais il est temps sans doute de donner des exemples de la profonde abjection dont le dégoût m’a inspiré l’imparfait tableau. Plongeons dans ces ténèbres ; rappelons les plus stupides théories du moyen-âge, les plus farouches diatribes des moines ignorants et fanatiques ; retraçons toutes ces horreurs à peine couvertes par le flot des révolutions modernes, et voyons si les théocrates n’ont pas toujours été et ne seront pas toujours l’ennemi de l’esprit humain. Si les faits ont une éloquence brutale, vous me saurez gré du moins de vous y avoir préparé, et vous jugerez ensuite si j’ai pu aller au-delà de la vérité, à moins que vous n’ayez pas le courage de poursuivre jusqu’au bout.

Vous n’avez pas oublié sans doute le nom d’une société littéraire que je vous ai signalée dans ma dernière lettre, après mon entrevue avec M. d’Estremont. Cette société fondée à Montréal, en 1844, avait pris le nom « d’Institut-Canadien, » et pour devise « Altius tendimus. » C’était à peine au sortir de l’insurrection de 1837-38. C’était au sein des trahisons nombreuses des chefs patriotes dont l’Angleterre achetait le concours avec des honneurs. Le clergé dévoué au pouvoir, comme toujours, achevait d’anéantir les dernières résistances des esprits indépendants et fiers. Déjà se dessinait à l’horizon la noire cohorte des ordres religieux s’avançant à la conquête des âmes, c’est-à-dire à l’abaissement des caractères. Alors quelques jeunes gens, nourris à l’école du passé, se cherchèrent au milieu des ténèbres qui commençaient à envahir leur malheureuse patrie ; ils apportaient un fonds commun de libéralisme et de dévouement à la cause du progrès ; ils se réunirent dans une étroite masure de la rue St. Jacques, à Montréal, et là se constituèrent en Société sous le nom d’Institut-Canadien, afin, comme ils le déclarèrent dès leur première séance, « de chercher la force qui naît du travail commun, de s’instruire, et de s’habituer à la parole au moyen de la discussion. »

Le but et l’objet définis, ces jeunes gens, au nombre de deux cents, jadis isolés et presque inconnus les uns aux autres, inaugurèrent les premiers le système des conférences publiques, et des discussions libres sur tous les sujets politiques et littéraires. Ils formulèrent une déclaration de principes de la plus complète tolérance religieuse, et affirmèrent n’avoir qu’une volonté, celle de promouvoir le progrès sous toutes les formes. Dès l’origine, l’Institut-Canadien échappait donc à la domination théocratique, à tout contrôle extérieur sur ses actes et délibéra-