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les maisons sacrées

raissent pas comme à nous, avec leur caractère absolu, limité. Le don de poésie, c’est le pouvoir de révéler les rapports secrets qu’ont entre elles des choses différentes en apparence. Nous ne découvrons pas ce rapport : nous ne percevons que ce qui est là. Pour eux, les poètes, ce qui est là sert seulement à les pousser sur les routes mystérieuses de l’universel.

Nous voyons des plâtres blêmes. Quand les yeux de Gœthe les touchaient, la vie antique ranimée emplissait de couleurs, de lumières, de rythmes joyeux et libres, l’air gris de cette vieille maison. Et ces intailles, ces bronzes, ces faïences, ce bric-à-brac italien, quelles ivresses perdues lui rappelaient-ils ? Dans toutes les chambres de sa maison le poète a mis des souvenirs du voyage où sans doute il vécut ses heures les plus parfaites. Et dans toutes les chambres de son esprit n’y avait-il pas la mémoire brûlante et triste, l’invincible regret de cette Italie qui laboura son cœur plus profondément même que ses passions ?

Son amour de l’Italie est l’un des drames de sa vie intérieure. Dès l’enfance il en est agité. Le désir d’aller « là-bas » grandit toujours, s’exaspère jusqu’à devenir « une maladie morale qui le tourmente follement ». Il tait le besoin qui l’empoisonne. Pendant des années il ne peut lire, ni même toucher, ni voir un livre latin, tant il est déchiré par l’appel qui en sort. Wieland traduit les satires d’Horace, Gœthe y jette les yeux, et une misère affreuse noie son cœur : à la seconde lecture, la tête lui