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les maisons sacrées

jours de sa vie, Mme von Gœthe, souffrante, fit avec son mari une promenade dans la campagne, et tout à coup elle eut une attaque. Gœthe ordonna au cocher de rentrer à Weimar, et en route il songeait — c’est lui qui le raconte — « Que vont-ils dire à la maison en trouvant cette femme morte dans la voiture ? » Cette fois, il gardait tout son calme ! Cependant, après l’avoir aimé pour sa jeunesse, il aimait Christiane vieillie, comme un bon meuble commode. Et peut-être cette humble créature, qui le laissait tranquille, lui donna-t-elle plus, après tout, que la belle muse pleine de grâces et de pensées.

Mme von Stein garda longtemps sa rancœur, puis elle pardonna. L’histoire dit que jusqu’à sa mort, qui précéda de quelques années celle de Gœthe, ils eurent l’un pour l’autre une amitié excellente. De quoi était faite cette amitié-là ? D’un confortable oubli en ce qui le regarde. Mais elle ? Je me figure qu’elle goûtait dans l’affection restaurée, la même sorte d’aise et de paix, que l’on trouve dans une maison hantée où, à chaque minute, on cesse d’entendre les rires, les chants, les paroles dont la chambre est pleine, pour mieux écouter, glissant par les couloirs obscurs, le fantôme qui tire après soi de vieilles chaînes rompues, et gémit d’une dangereuse voix dolente.

Dans ses volontés dernières, — je crois m’en souvenir, Mme von Stein demandait que l’on évitât de faire passer son cortège funèbre sous les fenêtres de Gœthe. Avait-elle tant d’illusions encore qu’elle redoutât pour lui le déchirement d’un tel