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les maisons sacrées

d’un incomparable orateur, dès que la grande voix se tait, on redescend sur le sol. Les flèches de Shakespeare entrent dans la chair et y restent. La sublime déclamation de Schiller ne s’adresse qu’à l’esprit. Il semble que l’ivresse de la création, le détachât de sa piteuse condition d’homme, lui ouvrant un monde où règne l’absolu, loin de la réalité dure, basse, — et riche.

Ses héros se refusent à cette comparaison avec soi faute de laquelle on ne croit pas aux personnages fictifs. Il pousse l’arbitraire du génie aux extrêmes limites : Moor, le brigand redoutable et noble ; Philippe II, un monstre tout d’un bloc ; don Carlos, non pas le misérable fou qu’il fut en vérité, mais un admirable jeune homme prêt à transformer le monde en un jardin de joie ; Jeanne d’Arc, soudainement amoureuse d’un Anglais qui passe par là ; — et au surplus, il la fait mourir sur le champ de bataille ; — Max Piccolomini, si parfait ; le marquis de Posa, si audacieux, si généreux, et qui parle tant ; tous ces gens admirables ou terribles ce sont des images qui ne s’appuient sur aucune réalité concrète. Images grandioses du crime, de la noblesse morale, du sacrifice, celles-là sans lumières, celles-ci sans ombres, telles qu’elles naissaient à l’état abstrait dans le cerveau du poète. Ce ne sont pas des créatures vivantes ajoutées à la race humaine.

L’abondante poésie, la pensée profonde, la recherche continuelle de la beauté qui magnifient l’œuvre de Schiller sont propres à nous rendre meilleurs et plus nobles à la manière d’un discours