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les maisons sacrées

Un jour, Herder doit quitter Strasbourg, et se trouve sans argent. Gœthe lui en prête. Herder est un peu long à payer sa dette. Enfin il s’acquitte, mais loin de remercier, il joint à son envoi les railleries les plus piquantes à l’adresse de l’obligeant ami. Gœthe raconte le fait avec un air de détachement. À peine achève-t-il son récit, il semble oublier Herder, et en trois grandes pages développe ses idées sur l’ingratitude prise dans son sens le plus général. Il explique que, lui, Gœthe, pourrait être ingrat comme tout le monde, car la reconnaissance encombre la vie, mais qu’il ne l’est point car il s’est donné des disciplines, et par des méthodes automatiques est parvenu à se rappeler constamment, les plus petits services reçus. Puis laissant là les vues générales, et le satisfaisant examen de soi, il dit sans la moindre transition : « Herder gâta ses plus beaux jours en tourmentant les autres et en se tourmentant lui même. »

Il n’aimait pas du tout son ami Herder ! Mais il ne l’a nullement calomnié. Ce n’est pas avec Gœthe seul que le grand philosophe était désagréable. On croit deviner en lui quelque chose de ce caractère lamentable qui détraqua la vie du pauvre Jean-Jacques. Seulement : Jean-Jacques était fou, et Herder eut la plus solide tête ; Jean-Jacques au résumé n’avait pas toutes ses aises ; et le génie de Herder fut récompensé par : les places, l’anoblissement, la gloire. Il était de mauvaise humeur ! Il avait ses raisons : il souffrait des yeux terriblement — il mourut presque aveugle — et en avait souffert tou-