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les maisons sacrées

brûlent les yeux ou les mains qui s’y posent. L’intensité, l’éclat génial des portraits et des bustes parlent trop hautement d’une injustice trop atroce. Qu’ils sont beaux pourtant et semblables entre eux ! Même, parmi les ténèbres, Nietzsche a gardé son visage : le front immense, et qui commande le masque creusé, demeure splendide. Le regard qui cherche encore, et atteint par delà, plus dévorant peut-être et plus magnifique. À quoi pensait-il alors que, sans qu’il le sût, des artistes dessinaient près de lui ses derniers portraits ? Il ne pensait plus ? On ne peut le croire ! Ces yeux embrasés saisissent ce que nous ne pouvons saisir. Sans doute se taisait-il, le grand foudroyé, parce qu’il n’existe pas de mots pour dire ce que, loin, si loin, il voyait…

À toutes les époques de la vie, sa figure est si violente qu’on ne parvient pas à se la représenter parmi des paysages sereins, ou des scènes tranquilles. La tempête semble lui être un fond nécessaire. Et en lui aussi il y eut une grande tempête, mais bien différente des nôtres. Ce n’est pas dans la sensibilité que jouaient ses passions. C’est sous le front impérieux qui, comme les hautes cimes, paraît convier la foudre. Ce que l’amour et l’ambition portés à l’extrême puissance apportent d’émotions mortelles, de désirs frénétiques et de tumultes, il l’eut dans l’esprit. La pensée fut son amour, son espoir, son trouble, son aventure, son drame. Il l’approche et la dompte comme une créature vivante qui se livre dans la joie, ou résiste ; qui peut trahir, blesser, mais qui enivre. « Ah ! que nous sommes heureux,