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un voyage

bêtes de blason, je serai encore un peu dans l’allée de la Victoire.

Un tramway passe, j’y monte, et derrière moi un jeune homme qui tombe sur la banquette comme en défaillance. Mais il ne s’évanouit pas du tout. Un mouvement convulsif l’a redressé. Il murmure tout bas des paroles rapides, s’arrête, écoute anxieusement, recommence. Il agite les pieds et les mains comme un enfant nerveux. Sa pâleur est sinistre, ses cheveux secs ressemblent à ceux qu’on retrouve dans les tombes très anciennes. Ses yeux, qui luisent d’une manière insupportable, deviennent fixes. Immobile, son visage fait peur. Mais le mouvement des pieds et des mains a repris, les prunelles se raniment dans les sclérotiques rouges, l’odieuse lueur y saute de nouveau, le chuchotement repart plus rapide. Sans cesse l’étrange personnage recommence le même geste. Il semble écarter quelque chose de son front, regarde dans sa main, s’étonne de n’y rien voir et essaie encore une fois d’ôter cette chose… Soudain, il se lève, bouscule les gens debout sur la plateforme, saute du tramway en marche et s’éloigne, faisant des signes, appelant quelqu’un. Mais il n’y a personne. La rue est vide…

Encore un fou ! Et encore une fois nul n’a fait attention à lui. En face, la bonne dame soigneuse de sa robe s’est beaucoup plus intéressée à moi, en qui elle devine une étrangère, qu’à ce malheureux. Elle l’a regardé un moment puis a repris l’étude critique de mes souliers… Qui sait si, à Berlin il n’y a pas tant de fous, qu’on renonce