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un voyage

vers les joies raffinées de l’esprit, et à qui « le militaire » n’inspirait qu’aversion, vit ses goûts contrariés et de quelle sorte ! Le demi-fou qu’il avait pour père le traitait avec une brutalité sauvage, lui cassait sa flûte sur la tête, lui donnait des coups de canne, interdisait qu’il pensât, respirât, vécût. Lorsque, las des tortures et des humiliations, il voulut se sauver, on le mit en prison ; l’ami qui devait aider sa fuite fut exécuté sous ses yeux ; lui-même dut croire que sa désertion avortée serait punie de mort. Le résultat d’une jeunesse si douloureuse c’est qu’à peine est-il libre et roi, il commence de ressembler au père odieux et haï qui l’a tant fait souffrir. Ce flûtiste qu’on excédait en voulant lui enseigner les choses de la guerre, prend la plus ardente passion pour ses soldats ; l’avarice a pesé sur lui intolérablement : il est avare ; il a étouffé sous le despotisme : il est despote ; la cruauté de Frédéric-Guillaume lui a cent fois déchiré le cœur : il est cruel. Sans doute il ne roue pas de coups ses sujets lorsqu’il les rencontre dans la rue, comme faisait son agréable père ; mais il humilie, il dégrade, il taquine avec férocité et jusqu’au sang, il aime la vue de la souffrance et de la honte. S’il eut ce cœur vénéneux, ce n’est nullement parce que son père l’a beaucoup tourmenté, mais parce qu’il ressemblait beaucoup à son père.

Il n’a aimé ni cet affreux père, ni sa sotte mère, ni sa femme, ni aucun de ceux qu’il nomma ses amis. Il aimait sa sœur, la margrave de Bayreuth ? N’en croyons rien. Cette fine personne, dont les